Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

· 108 Lénine, qui a foi en la toute-puissance du groupe énergique, de l'organisation des révolutionnaires professionnels, s'exclame : «Donnez-nous une organisation de révolutionnaires, et nous retournerons la Russie. » Cette conception héroïque de l'histoire doit conditionner les rapports entre le parti révolutionnaire et la classe ouvrière. « Dans le monde entier, a écrit Lénine, les ouvriers désirent se grouper en syndicats, lutter contre les patrons, obtenir du gouvernement telle ou telle loi. » C'est le genre d'activité sociale et politique qu'il appelle le trade-unionisme, et qu'il envisage avec une extrême suspicion. Le tradeunionisme transforme peu à peu le régime capitaliste -au lieu de le détruire, de le balayer, de le renverser jusqu'en ses fondements comme l'exige et l'enseigne l'idéologie socialiste. Mais le mouvement ouvrier est incapable, par ses seules forces, de créer la conscience et l'idéologie socialistes : elles lui seront apportées « de l'extérieur », du laboratoire de « la fleur des meilleurs », du « sel de la terre». Par ses seules forces, la classe ouvrière, « dans son mouvement élémentaire, ne peut élaborer qu'une conscience trade-unioniste de basse qualité». Le trade-unionisme est «la politique bourgeoise de la classe ouvrière » ; il « transforme le mouvement ouvrier en arme de la démocratie bourgeoise ». Si on l'admet (malgré le cas de gens comme Bevin et Bevan dans le trade-unionisme anglais) il faudra, pour bousculer les ouvriers hors du régime capitaliste auquel ils s'adaptent « élémentairement », que l'avant-garde dirigeante déploie des forces gigantesques. Lénine y insiste : « Il faut une lutte désespérée contre les forces élémentaires ... Il faut arracher le mouvement ouvrier à l'emprise trade-unioniste qui s'exerce sous l'aile de la bourgeoisie. >> Le rapport entre la masse attirée et les héros qui l'attirent, les révolutionnaires professionnels, prend ici un aspect différent ·de la doctrine de Marx. On ne peut déjà plus dire que « ni Dieu, ni roi, ni héros >> ne libéreront la classe ouvrière et qu'elle devra se libérer de ses propres mains. La réussite de l' «attraction», selon le Que faire? de Lénine, dépend uniquement de la lutte désespérée de l'avant-garde, ou de la « minorité agissante », qui par tous les moyens fait que sa parole soit!{ accomplie par tous». cc La masse, écrivait Tchernychevski, est une matière première qui sert à des expériences diplomatiques et politiques. Quand quelqu'un prend le pouvoir sur elle et lui dit ce qu'elle doit faire, elle le fait. C'est l'opinion des hommes d'État pratiques. Il faut avouer qu'elle est très proche de la vérité». Mais pour détourner des millions d'ouvriers de la voie qu'ils suivent élémentairement, il faut que l'organisation révolutionnaire dispose d'une force particulière, ait une structure particulière, se compose de gens d'une cc nature particulière », ait des méthodes particulières de propagande, d'agitation, d'action sur les masses. Ce n'est pas un parti comme les autres, et en tout cas il ne ressemble pas au parti·· social-démocrate allemand. Ce doit être, comme l'a exposé Lénine, cc une organisation puisBibliotecaGinoBianco LE CONTRAT S0Cl..r4L . ' . sante, strictement secrete, qui concentre entre ses mains tous les fils de l'activité, une organisation nécessairement centraliste », non par élective, mais basée sur la cooptation. (Mais qui coopte? Le centre du centre, .le chef?) Plus tard, Lénine a ajouté : l'organisation doit être construite cc sur la base d'un centralisme de fer», et « faire régner dans ses rangs un ordre militaire de fer». Il doit y régner une « discipline de fer confinant à la discipline militaire ». Son centre doit être cc un puissant organe d'autorité doté de larges pouvoirs »... Le tableau historique nous apparaît donc assez clairement. En 1864, il y a le point de départ d'un ensemble d'idées révolutionnaires : c'est Que faire?, de Tchernychevski. Ce départ a, bien entendu, sa préhistoire, mais nous n'en traiterons pas car il faudrait parler de l'empreinte laissée sur la mentalité de Tchernychevski par le séminaire, et noter l'influence de Fourier, Owen, Robespierre, Babeuf, Blanqui, etc. La «décharge >> de Que faire ? a allumé Lénine à Kokouchkino en 1887-1888. Inspiré par ce livre, puis par le marxisme (marxisme fort déformé, comme nous le constatons), Lénine écrit en 1902 son propre Que faire ? Plusieurs de ses camarades (entre autres le futur menchévik Potressov) remarquèrent dès alors les « déviations >> de l'ouvrage, mais son véritable esprit ne se révéla à eux que bien plus tard. La grande majorité du Parti accueillit le Que faire? de Lénine avec enthousiasme. Selon Kaménev, cc il n'y a pas, dans l'histoire de l'époque pré-révolutionnaire, un seul livre dont l'influence ait tant soit peu approché celle de cet ouvrage sur la formation des forces politiques en Russie >>. Les idées du Que faire ? de Lénine inspirèrent le Comité central du parti bolchévik et présidèrent à la création du Komintern en 1919. Entre les deux Que faire? nous trouvons les étapes du développement d'un même impératif révolutionnaire : le Tocsin de Tkatchev (cité par Lénine dans Que faire ?) et les idées de l'aile gauche jacobine et terroriste du Comité exécutif de la cc Volonté du peuple» (Lénine a également évoqué dans Que faire? leur <<charme» et l'influence qu'elles exercèrent sur lui dans sa jeunesse). Du Komintern de Lénine et conformément à la cc dialectique» du pourrissement des idées, la route mène au Kremlin de Staline et à son Kominform. CE que' Tchernychevski a donné à Lénine est en grande partie devenu un marxisme modifié, revu et replâtré. Mais il y a aussi des choses qui sont passées de l'initiateur au disciple presque sans retouches, et qui appartiennent aussi inséparablement à Lénine que ses yeux bridés et son faciès tatare. Notamment il y a au premier plan la haine profondé et implacable envers le libéralisme, pris dans son sens le plus large. On sait que Tchernychevski a pourchassé le libéralisme « de

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