Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

/ 104 correctement doit être un révolutionnaire, mais aussi, chose plus importante encore, quel genre de révolutionnaire il doit être, quelles règles il doit suivre, comment il doit marcher vers ses objectifs, par quels procédés et quels moyens il doit les réaliser. Ce mérite efface tous ses défauts, dont il est d'ailleurs moins responsable que le bas degré de développement des rapports sociaux à son , epoque. «L'influence de Tchernychevski sur moi a été essentielle. Mais à ce propos je dois rappeler une influence accessoire, exercée à l'époque par Dobrolioubov, ami et compagnon de Tchernychevski. J'avais également entrepris à fond la lecture de ses articles dans le Contemporain. Deux d'entre eux, l'un sur Oblomov, le roman d·e Gontcharov, l'autre sur celui de Tourguéniev, A la veille, me frappèrent com1ne d'un coup de foudre. J'avais déjà lu A la veille, mais l'avais lu trop tôt et je le jugeais comme un enfant. Pobrolioubov me remit sur le droit chemin. Je relus ce livre, ainsi qu'bblomov, pour ainsi dire avec les notes de Dobrolioubov. De sa critique d'Oblomov, il avait fait un mot d'ordre, 'un appel à la volonté, à l'activité, à la lutte révolutionnaire. Quant à son analyse d' A la veille, c'est une véritable proclamation révolutionnaire, écrite d'une façon qui la rend aujourd'hui encore inoubliable. Voilà comment il faut écrire ! Quand nous avons fondé la revue Zaria, je disais à Starovier (Potressov) et à Véra Zassoulitch : « Voilà le genre de comptes rendus littéraires qu'il nous faut. » Hélas, nous n'avions pas un homme comme Dobrolioubov, qu'Engels a appelé le Lessing socialiste. » 8 CE récit projette incontestablement une llumière nouvelle sur le personnage de Lénine, sur l'histoire de sa formation et de sa carrière ultérieure. Lorsqu'à la fin de l'automne de 1888 Vladimir Oulianov, revenant de «déportation», réapparut à Kazan, son cousin du même âge Vérétiennikov pouvait remarquer que « Volodia » n'était plus le petit jeune homme avec lequel il avait aimé jouer au billard et se baigner dans l'Ouchna à Kokouchkino. Après l'été de 1887 et celui de 1888, il était devenu «adulte, sérieux, et paraissait avoir au moins cinq ans de plus que moi». Ses connaissances étaient déjà immenses. A beaucoup d'égards, c'était déjà un homme fait. L' « ivresse » de la lecture avait profondément « labouré » Oulianov. Mais il ne lisait pas Marx à l'époque, il lisait Tchernychevski. Dans l'ordre théorique et psychologique, il était devenu révolutionnaire avant de connaître Marx. La doctrine officielle du parti communiste sur ce 8. Marx a porté un jugement intéressant sur Dobrolioubov, qu'il avait surnommé Ehrlieb, traduisant son nom en allemand. Dans une .lettre du 9 novembre 1871 à Danielson, il écrit : « Je mets Dobrolioubov au niveau de Lessing et de Diderot.» Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL point est fausse. On ne saurait, sans souscrire à une erreur obstinément soutenue, dire que c'est le marxisme qui a dégagé et créé Lénine. Comme on le verra plus loin, il était déjà, au moment de sa rencontre avec le marxisme et grâce à l'influence de Tchernychevski, fortement armé de certaines idées révolutionnaires qui caractérisent sa physionomie politique, sa physionomie de Lénine. Comment avait commencé le « labourage »? Si l'on repousse les légendes, il y a toutes les raisons d'affirmer qu'au lycée Lénine était tout à fait indifférent aux questions sociales. Sa sœur Anna a écrit que, cependant que leur frère Alexandre « étudiait assidûment Marx et d'autres œuvres d'économie politique », Lénine, qui partageait sa chambre, ne s'y intéressait nullement. « On le voit étendu sur sa couchette, et lisant du Tourguéniev. » Il ne fut attiré vers les questions sociales qu'à la suite du choc reçu de Que faire ? et seulement après l'exécution de son frère. « Alors je me mis à lire pour de bon Que faire? et j'y passai, non quelques jours, mais des semaines.» Tchernychevski lui inculqua que tout « homme véritablement convenable » doit se donner entièrement aux questions sociales et être un révolutionnaire. Il avait écrit : « S'il n'acquiert pas l'habitude de participer aux affaires publiques, s'il n'acquiert pas les sentiments du citoyen [Tchernychevski voulait dire : du révolutionnaire], l'enfant du sexe masculin devient en grandissant un individu d'âge mûr, puis d'âge avancé, mais il ne devient pas un homme d'un caractère noble. Il vaut mieux pour l'homme ne pas se développer que se développer sans subir l'influence de la· pensée sociale. >> Sans une participation passionnée aux affaires sociales, la vie n'est que « vulgarité dans la médisance ou vulgarité dans l'inconduite, et dans les deux cas vulgarité entièrement dépourvue de sens ». Voilà la première décharge reçue de Tchernychevski. La seconde lui sera indissolublement liée. C'est dans les scènes de Que faire?, dans les songes de Véra Pavlovna, que Vladimir Oulianov a connu pour la première fois l'idée du socialisme, la « nouvelle époque de l'histoire universelle», menant, comme dit Tchernychevski dans ses articles, à « la production et à la consommation collectives», à « la propriété communautaire du sol », à « la propriété communautaire des fabriques et des usines». Ces transformations révolutionnaires donneront un régime où il n'y aura « ni misère ni peine », où il n'y aura plus que « le travail libre, le contentement, le bien et la délectation ». Kaménev, lorsqu'il dirigeait la première édition des œuvres de Lénine, a justement fait observer qu'aucun dé ses écrits ne contenait une description du régime pour lequel il luttait. A part· la notion émouvante et nébuleuse de l'ordre socialiste que lui avait donnée Que faire?, Lénine (lui non plus) n'avait rien, ne voulait rien d'autre et d'ailleurs ne pouvait rien avoir d'autre. Quelques lignes extraites de la Critique du Programme de Gotha de Marx ne pouvaient pas y ajouter grand-chose. Lénine envisageait l'ordre socialiste comme les croyants le royaume des cieux, à cela près que dans ,

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