Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

A. G. HORON les matériaux plus riches dont ils avaient besoin. On ne saurait exagérer le rôle que ces sciences, presque toutes d'origine française, ont joué dans l'idéologie,. la pédagogie, la propagande de la « plus grande Allemagne » ; elles leur ont conféré une audace, une ampleur, une apparence de solidité qui préparèrent les cerveaux allemands, autrefois plutôt provinciaux, à accepter le gigantesque - dans le passé, puis dans le présent et l'avenir. On se moqua d'Hitler lorsque, nourri des sousproduits de la science allemande, il prétendait parler au nom de forces profondes et construire pour un millénaire; il a réussi toutefois à détruire pour des siècles, et pas seulement sur le plan matériel. Mais la dérision ne mène à rien. Les tendances « surhumaines », inhumaines et finalement sata-:- niques de la pensée, puis de l'action allemandes découlent de découvertes françaises, ou mieux - de la carence de la France contemporaine à élaborer, à ordonner ces découvertes, à les incorporer dans une conception plus large et plus précise de la civilisation occidentale. Les philosophies françaises du XVIIe au xrxe siècles correspondirent à la somme des sciences de l'époque et donnèrent à la France l'hégémonie spirituelle. Pour cela même, parce qu'elles ne répondent plus à la somme des connaissances nouvelles, elles sont désormais pièces de musée et font écran au rayonnement français. S'il est vrai que les Allemands ont commis le crime de démesure, crime inexpiable aux yeux des Hellènes., - la France l'a préparé involontairement en commettant la faute inverse, en continuant ' , . a trop mesurer sa pensee et son action. DÈS AVANT 1914, les préhistoriens les mieux avertis pressentaient de grandes découvertes en Afrique, prolongeant, amplifiant les révélations de la préhistoire française et espagnole et les rattachant aux lieux et aux temps où se formèrent les civilisations classiques dont les nôtres dérivent. On commençait à étudier l'art rupestre de l'Afrique australe, qui s'était éteint récemment et pourtant s'apparentait aux arts paléolithiques de l'Espagne et de la France. Une continuité stupéfiante était sur le point de se manifester, bouleversant toutes les notions admises d'ethnographie et d'histoire humaine : l'Europe blanche et l'Afrique noire, loin de s'être rencontrées pour la première fois dans le présent, semblaient avoir collaboré à la naissance même du plus ancien monde occidental, des milliers d'années avant notre ère. Compris à temps et pleinement mis en lumière, ce fait aurait évité à l'esprit européen bien des erreurs et des mensonges. On soupçonna bientôt que l'étape décisive viendrait avec l'exploration de la zone saharienne, que c'est dans l' Atlas et le Sahara qu'on trouverait les traces d'un des principaux foyers de civilisation préhistorique. A mesure que la France consolidait sa présence en Afrique du Nord et pénétrait plus profondément le Sud Algérien et toute l'immense région aujourd'hui désertique, les recherches devenaient possibles et les études se multipliaient. Biblioteca Gino Bianco 91 Encore une fois, ce furent les savants français qui firent les premiers pas : Émile Gautier, ses émules et ses élèves tels que Monod et Perret commençaient à révéler la géologie, la géographie, le passé biologique et humain du Grand Désert, tandis que Flamand, Breuil, Reygasse, etc., étudiaient les documents abondants, parfois grandioses, de l'art rupestre, d'abord dans l' Atlas saharien, puis au cœur du Sahara, vers le Hoggar et les confins de la Libye. Mais l'œuvre se développait lentement, malgré les efforts de quelques fondations jeunes et hardies, telles que le Musée de l'Homme ou l'Institut de recherches sahariennes. C'est que la France officielle et intellectuelle ne s'intéressait que médiocrement à ces entreprises « hors série », et ne leur accordait que des moyens limités et une publicité plus que discrète. Il fallut attendre 1935 pour que la mission Coche découvre les belles fresques du Hoggar, et 1938 pour leur publication adéquate et quasi-privée par ChasseloupLaubat. Les Allemands, eux, ne perdaient pas de temps. Tandis que les Anglais cultivaient leur jardin en Afrique Orientale, où Leakey faisait d'importantes découvertes préhistoriques, tandis que les Français accumulaient des matériaux et des monographies peu accessibles aux publics internationaux, la science allemande parcourait l'Afrique d'un bout à l'autre; elle exploitait à fond les découvertes françaises et anglaises, y ajoutait_ les siennes propres, mettait le tout à la disposition de la science internationale par des éditions luxueuses, des commentaires copieux et intelligents, et recevait le plus clair du crédit pour des disciplines d'initiative française. L'art rupestre de l'Atlas saharien, déjà décrit par Flamand avant la guerre de 1914, ne put être pleinement apprécié qu'à partir de l'édition parfaite qu'en firent en 1925 Obermaier et Frobenius. Ce dernier avait fondé, sous le patronage de Guillaume II, l'Institut de morphologie culturelle, dont l'activité ne fut que stimulée par la défaite allemande. Elle s'étendit à tous les aspects de la civilisation matérielle et spirituelle, préhistorique et ethnographique, du monde eurafricain, et se développa parallèlement aux travaux linguistiques de l'Institut allemand des langues indigènes. La France, qui produisait des africanistes aussi éminents que Delafosse, et qui partageait avec l'Angleterre l'en1pire de l'Afrique, n'avait pourtant, pas plus que cette dernière, d'institutions scientifiques tout à fait comparables à celles-là. L'art d_e l'Afrique australe fut édité lui aussi, en 1932, par les soins de l'institut de Frobenius, et c'est la même école qui révéla en 1937, dans une publication de grand style, les trésors artistiques de la préhistoire libyenne, à deux pas de la frontière du Sud Algérien français. Lorsque les Allemands ne parvenaient pas à s'imposer, ils s'infiltraient par des voies indirectes : l'édition la plus complète et la plus critique de l'art rupestre dans les déserts de l'Égypte, quoique appartenant techniquement à la collection anglaise

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