Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

A. G. HORON problème et en attendre la solution? L'attente risquerait de se prolonger indéfiniment, comme l'ont montré tant de conclaves scientifiques où à l'intérieur d'une seule et même discipline l'accord des esprits ne s'est pour ainsi dire jamais établi. Le savant, aujourd'hui, est tout autre chose qu'un manieur d'idées générales : c'est presque toujours un technicien, un artisan de l'intelligence, un érudit parfois très compétent à l'intérieur de son domaine, et d'autant plus indifférent aux autres disciplines comme aux répercussions de sa science spéciale. Sur les cimes de l'esprit comme dans les affaires de la cité, le « gouvernement des spécialistes» n'est qu'une utopie. Pour l'Eurafrique, on a dû mentionner ci-dessus plusieurs dizaines de disciplines, très vastes et ramifiées, dont chaque aspect particulier absorbe, dans un pays comme la France, l'attention et les capacités intellectuelles de dizaines, voire de centaines d'érudits, de pédagogues et de chercheurs. Ce sont des milliers de têtes qui constituent ici l'hydre de .la connaissance spécialisée *. Heureux le pays qui compte plus d'une centaine de cerveaux concevant les grandes idées générales, et où .q~elques milliers d'individus sont en état de les assimiler entièrement. Ce n'est donc pas aux spécialistes qu'on s'adressera pour tracer un programme d'envergure. Qu'on tienne compte des savants les plus qualifiés, qu'on s'entoure de toutes les garanties de compétence, qu'on laisse aux institutions scientifiques, existantes ou à fonder, la tâche de poursuivre les recherches nécessaires - cela va de soi. Mais quant au programme d'ensemble, à l'impulsion nouvelle à donner aux sciences de l'homme autour de la Méditerranée, à. la coordination si importante entre les côtés purement scientifiques et les aspects actuels, voire politiques, du problème, quant à l'inspiration générale en un mot, elle ne saurait provenir que d'une petite équipe de bons esprits, point trop spécialisés, jouissant des appuis indispensables. ,,*.,,. CE PROGRAMME d'ensemble, on n'a pas la prétention de le tracer ici : il dépasse les limites du jugement individuel. On se contentera d'en indiquer quelques parties, parmi les plus importantes. La première se place en préhistoire et concerne !'Eurafrique entière, mais une Eurafrique ayant ses centres de gravité dans l'Extrême-Occident et au Sahara. La deuxième est en histoire ancienne, sur la scène du Levant et de la Méditerranée. • Dans notre domaine comme dans d'autres, la spécialisation scientifique a souvent fait obstacle à la perception des vérités ~énérales, qui seules importent en fin de compte. V. Bérard et E. Gautier., pour ne citer encore Que ces deux-là, se sont élevés à l'intelligence des vrais problèmes du passé méditerranéen et nord-africain en dépassant constamment les cadres de leurs J)roprcs spécialités et en rompant avec les routines scientifiQues. Le cas est rare. Voir les remarques incisives de Bérard sur les erreurs ducs aux déductions purement archéoloiiques ; de Gautier sur l'étroitesse d'une histoire fondée sur l'horizon limitJ des arabisants. BibliotecaGinoBianco 89 La troisième intéresse certains aspects de l'Islam et de l'arabisme, donc toute une moitié du bassin méditerra11éen. LA PRÉHISTOIRE est une découverte française du XIX8 siècle, et dont les suites les plus intéressantes sont encore en plein développement. Jusqu'au début du xxe siècle, les préhistoriens n'avaient guère exploré que l'Europe occidentale. La récolte y était d'une richesse remarquable, en particulier pour le Paléolithique supérieur, l'époque qui précède la naissance des premières sociétés agricoles. La révélation d'un art des cavernes d'une maturité étonnante constituait - ou aurait dû constituer - l'un des événements majeurs dans la marche de la pensée moderne. A la veille de la première guerre mondiale, les résultats acquis en France et en Espagne semblaient indiquer que ces delL~ pays avaient fait partie d'un des plus anciens foyers de la civilisation - non plus seulement à l'échelle de l'histoire conventionnelle, de l'histoire attestée par des textes, mais à l'échelle autrement vaste qui mesure le passé de l'humanité. Tandis que la préhistoire, avec ses noms et concepts français, prenait place dans les ouvrages en toutes langues traitant des sciences de l'homme, tandis que les publics cultivés apprenaient à connaître un nouvel aspect, grandiose et imprévu, de la France et de l'Europe la plus occidentale, la pensée française ne semblait pas lui accorder toute l'attention qu'elle mérite. Certes, des savants tels que Cartailhac, Boule ou Breuil percevaient fort bien la portée de leurs études ; les monographies et fouilles françaises se multipliaient, et le Manuel de Déchelette pouvait rester jusqu'en 1914 la Bible de la science préhistorique ; mais tandis que quelques cerveaux brillants et superficiels comme celui de S. Reinach échafaud$ent un <( patriotisme » européen projeté indûment dans un lointain passé arcl1éologique, les érudits et le public cultivé inclinaient, dans l'ensemble, à envisager la préhistoire comme une curiosité de plus, sans grands rapports avec les problèmes du présent. Il y eut même des Français pour mettre en doute la signification des civilisations paléolithiques de l'Occident, à n'y voir qu'une sorte d'illusion, due à l'insuffisance des recherches, donc de découvertes comparables, dans les autres parties du monde ; argument qui ne correspond guère aux faits. En fin de compte les disciplines préhist0riques françaises sont devenues timorées et mojestes à l'excès, pendant que certaines de leurs rivales étrangères partaient sans tant de scrupules à la conquête des mondes disparus. Pourquoi, en France, ces hésitations, cette indifférence au moins relative envers l'une des œuvres françaises les plus fécondes et les mieux accueillies au dehors? Tenons compte des remarques pertinentes de l' Allemand Frobenius. L'Occident moderne, dit-il, se fonde sur un sentiment de supériorité envers les autres civilisations, une attitude de mépris pour les humanités

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