88 . . sable, dès le x1xc. siècle, du développement de la mégalomanie germanique, dont le nationalsocialisme ne fut. que l'aboutissement. Quoi qu'il . . , . en soit, cette science, energiquement soutenue et par l'État et par la société, a déployé, à des fins damnables, des ressources techniques et une capacité d'organisation qu'on ne peut s'empêcher d'admirer. __Dès la fin du x1xe siècle, on ne pouvait plus se passer des Allemands, particulièrement dans la zone eurafricaine ; car malgré l'absence de points d'appuis. territoriaux autour de la Méditerranée, l'Allemagne n'avait cessé d'être active dans cette région qu'elle rêvait de dominer. Ce résultat, ce caractère «irremplaçable »· des sciences allemandes, n'a guère été acquis par les talents individuels; au contraire, le niveau de l'imagination, voire de _l'érudition germaniques a constamment baissé, au xxe siècle, à mesure que déclinait l'indépendance des esprits. Il y eut, certes, de brillantes exceptions; mais dans l'ensemble, le savant allemand est devenu de plus en plus un technicien. Et ces techniciens de la connaissance, nombreux, bien équipés, bien organisés, ont produit tant d'utiles instruments de travail encyclopédies, dictionnaires, grammaires, études systématiques, recherches préparatoires, éditions de documents, manuels, collections, revues techniques, méthodes de spécialisation, etc. - que l' œuvre des savants français, bien souvent supérieure en qualité individuelle, en était comme éclipsée. JL y a là une leçon et un avertissement. La science allemande s'est effondrée sous le poids de ses méfaits, certes, et non pas de ses vertus. Mais sa disparition, qui n'est évidemment pas définitive, entraînerait en tout cas la décadence des sciences de l'homme, à moins que la France ne se décide à prendre la succession en combinant son propre génie, son humanisme, avec un peu de cet esprit de suite dont l'Allemagne a fait un • • .si mauvais usage. L'heure est propice. En dehors des «pays bibliques » au sens restreint, les sciences anglo- :Saxonnes n'avaient pas autour de la Méditerranée une influence qui soit comparable au prestige des -sciences française et allemande. Cela vaut pour l'Angleterre, et encore plus pour les États-Unis; notons qu'il n'y a pas dans toute l'Amérique une seule chaire de linguistique berbère, éthiopienne ou chamito-sémitique ; ou que la Columbia University de New York, l'une des grandes Universités américaines, n'a même pas de chaire d'égyptologie. Situation qui doit d'ailleurs changer, vu l'intérêt éveillé aux États-Unis pour la région qui va ·de Dakar ou du Maroc au golfe Persique ; vue aussi l'activité croissante de l'Université Américaine (protestante) de Beyrouth, centre d'influence intellectuelle et politique panarabe. Une science américaine de !'Eurafrique peut s'improviser comme le reste. De même pour la Russie : la science russe n'a BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL • jamais joué qu'un rôle de troisième ordre dans le domaine eurafricain ; à vrai dire, sous l'autorité de l'État soviétique, elle a cessé d'être une science pour devenir une technique parmi d'autres, une technique de gouvernement et de propagande. C'est justement pourquoi on veut à Moscou la répandre vers l'Afrique et le Levant «coloniaux », régions qui intéressent de plus en plus le colosse totalitaire; la tentation est évidemment d'autant plus forte que la science française sera plus faiblement représentée dans ce domaine. Quant à l'Italie, elle commençait à figurer dans les sciences méditerranéennes et africaines et à se pousser au premier rang des études éthiopiennes. Une politique culturelle intelligente et accueillante attirerait la science italienne vers la zone de culture française ; les meilleurs esprits italiens penchent tout naturellement dans ce sens. Encore faut-il que la science française, par un essor renouvelé, donne l'impulsion et fournisse l'attraction , . necessarres. Bref, l'occasion est favorable à un renouveau de rayonnement français dans l'espace eurafricain ; mais elle ne se prolongera pas indéfiniment ; · il faut la saisir à temps. Si la France faillit à ce devoir, la sanction n'en sera pas simplement une diminution de son influence; ce sera aussi l'invasion du monde méditerranéen par des forces qu'on n'ose appeler «spirituelles» que par antiphrase, et dont l'action risquera de dissocier les vieilles civilisations qui ont grandi autour de la Mer Centrale. Les apprentissorciers qui évoquent le fantôme du Panarabisme ouvriront les portes aux cyniques de Moscou et à une yèrsion coloniale de pseudo-matérialisme historique. Ce serait alors le commencement de la fin. LES SCIENCESde l'homme et les idées qui s'en dégagent ne sont pas un luxe gratuit, mais l'une des conditions préalables de toute action pratique, de toute politique constructive. 11faut les considérer dans leurs relations avec les réalités les plus actuelles. Il y a entre les modalités de la connaissance et les besoins de l'action un rapport très certain, mais pourtant complexe et délicat. Qui le définira, en orientant les sciences de l'homme vers les recherches d'où surgiraient les idées-forces dont nous avons tant besoin? Est-ce l'État qui dictera sa volonté à la science, lui assignera des missions selon les nécessités tactiques les plus banales ? C'est la solution soviétique ou totalitaire. 0µ inversement, doit-on tout attendre de l'initiative de penseurs isolés ? C'est la méthode dont la France du xxe siècle a cru pouvoir le plus souvent se contenter, mais qui n'est plus possible dans le monde actuel : l'individu livré à lui-même y est un être privé de moyens. Faut-il alors s'adresser aux spécialistes éminents dans les diverses sciences de l'homme, et aux institutions ou administrations correspondantes, depuis les Universités jusqu'au ministère de !'Éducation Nationale? Faut-il les réunir en commissions, en congrès, pour leur soumettre le
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