Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

6 différenciation entre les citoyens et les revenus, différenciation dont personne ne met en doute le principe. L'idéal de l'inégalité et le fait de l'égalité étant incompatibles avec la civilisation industrielle, les avantages de l'expansion l' emportant à long terme sur ceux de la redistribution des revenus, il y a place, non pour un accord, mais pour un ou plusieurs dialogues raisonnables entre gauche et droite, pourvu que l'une et l'autre soient contemporaines de leur temps. On distingue un premier dialogue entre planificateurs et libéraux*, les premiers hostiles à l'inégalité dans la mesure où elle est liée aux profits capitalistes, les derniers favorables au mécanisme du marché et, par suite, à l'inégalité des revenus, conséquence nécessaire de la concurrence entre les individus et les entreprises. Un deuxième dialogue se déroule entre les planificateurs, les uns acceptant volontiers une grande différenciation des revenus, favorable à la croissance ou à la stabilité de l'ordre social, les autres ayant pour idéal des classes aussi rapprochées que possible les unes des autres. Un troisième dialogue met aux prises les radicaux, qui s'en prennent aux fortunes héritées, et les traditionalistes, soucieux de maintenir la continuité des statuts à travers les , , . generattons. Aucun de ces dialogues n'est provisoirement belliqueux dans les pays anglo-saxons, pour les raisons que nous avons analysées : les Américains acceptent la rude loi de la concurrence, les Anglais n'ont plus grand-chose à tirer de la redistribution des profits ou de réf ormes fiscales, les classes populaires sont relativement satisfaites de ce qu'elles ont obtenu, les économistes démontrent qu'il importe davantage d'élargir le gâteau que d'en égaliser les parts. Mais en cas de dépression économique ou de baisse du niveau de vie collectif, le ton du dialogue pourrait changer. Même dans l'hypothèse de la prospérité, l'inégalité sociale, le système d'éducation qui constituent aujourd'hui les thèmes des réflexions pourraient devenir demain objet d'indignation et de revendication. Au-dessus des batailles de partis et des controverses d'actualité, comment se définirait aujourd'hui la pensée conservatrice sur le sujet de l'égalité économique ? Le conservateur affirmait que l'inégalité des revenus reflétait la diversité des métiers, des talents, de la puissance et du prestige : il n'a pas été réfuté par les faits. Mais en une société à technique progressive, * Au sens de partis?ns de l'économie du marché. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT .SOCIAL son pessimisme a été démenti et il doit proclamer la légitimité du salaire minimum, de la redistribution des revenus, des lois sociales, de la fiscalité directe. En matière économique, les conservateurs n'ont jamais été des libéraux orthodoxes. La concurrence déchaînée, la course à la production ou à la fortune s'accordent mal avec la représentation d'une commupauté organique et stable, ordonnée par le respect de la sagesse immémoriale. C'est par l'intermédiaire d'une commune hostilité au socialisme · que libéraux et conservateurs se rejoignent. La nationalisation des moyens de production, la planification centrale entraînent la démesure de l'État, la destruction des autonomies régionales et corporatives ; elles donnent une autorité discrétionnaire aux calculateurs et aux techniciens. Unis contre le communisme aux libéraux de l'école de Vienne, les conservateurs ne sont pas obligés de suivre leurs alliés dans la dénonciation du Welfare State. Les conservateurs préfèrent les mécanismes du marché à la planification, ils n'y voient pas un bien en soi. Étrangers au radicalisme égalitaire, ils ne dénoncent ni l'inégalité que créent les profits ni celle qui dérive de la hiérarchie des traitements, mais ils ne transfigurent ni l'une ni l'autre en une valeur absolue. Socialiste ou libérale, la pensée économique glisse d'ellemême à l'idéologie parce qu'elle prête une signification morale à un choix entre des techniques. Essentiellement politique, le conservatisme, à condition d'être contemporain de la réalité et non pas nostalgique d'un passé de fantaisie, ne confond pas les schémas avec les institutions, les types idéaux avec les principes. Positive plutôt que négative, elle s'efforcerait d'élever les bas revenus plutôt que de soulever l'indignation contre les hauts revenus, de multiplier les chances de promotion plutôt que d'abaisser les superbes. Mieux vaut déprolétariser les travailleurs que prolétariser les bour- • geo1s. Enfin la pensée conservatrice mettait en garde contre les illusions et les impatiences. Pour la plus grande partie de l'humanité, l'ère de l'abondance est encore lointaine et la pauvreté demeure la malédiction séculaire. Jamais les peuples n'ont été aussi proches les uns des autres, jamais les différences des manières de vivre n'ont été aussi marquées. L'existence du paysan anglais ressemblait plus à celle du paysan de l'Inde au xv111e siècle qu'aujourd'hui. A l'intérieur des nations, la conviction du droit à l'égalité s'est répandue plus vite que ne s'effaçaient les différences de condition. L'effet

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