Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

CHRONIQUE Le '' père du marxisme russe'' Georges Plékhanov, né le 8 décembre 1856 dans le domaine héréditaire de sa famille à Gondalovka (province de Tambov) en Russie, mort le 30 mai 1918 en Finlande, est considéré comme le « père du marxisme russe ». Dès 1904, il avait pris position contre Lénine, son disciple, auquel il s'opposa de plus en plus résolument pendant la révolution de 1905, pendant la guerre de 1914, pendant la révolution de 1917 et jusqu'à son dernier souffle. Mais le 11 décembre dernier, au Grand Théâtre de Moscou, se tint une réunion solennelle « dédiée au centième anniversaire de la naissance du premier propagandiste du marxisme en Russie, personnalité éminente du mouvement ouvrier russe et international», en présence de l'étatmajor du parti communiste, et un certain M. B. Mitine, naguère porte-plume servile de Staline, présenta un rapport sur le « Rôle historique de G. V. Plékhanov dans le n1ouvement ouvrier russe et international» (Pravda du 12 décembre 1956). On ne saurait concevoir pire outrage à la mémoire d'un irréductible ennemi du bolchévisme. Les social-démocrates russes en exil, qui publient le Courrier socialiste, ont d'abord gardé le silence sur cet anniversaire. Ils ont cependant àonné, dans le numéro de mars, un intéressant et discutable article de B. Nicolaïevski, « Autour du ce11tenaire de G. V. Plékhanov », analysant les mobiles des communistes dans la célébration de l'anniversaire et cherchant à déceler leurs arrière-pensées. Dans la Revue socialiste publiée à Paris, Mme Georges Batault, fille de G. Plékhanov, a pu faire reproduire deux articles de son père écrits en 1917 et 1918 pour protester contre le coup d'État bolchévique, contre la dissolution arbitraire de l'Assemblée Constituante et contre la terreur exercée par un groupe minoritaire. « Le socialisme en général ni le marxisme en particulier n'ont rien à voir ici », affirmait Plékhanov dans le deuxième article. La tactique de Lénine « est la tactique de Bakounine et dans bien des cas celle de N etchaïev », contraire aux théories de Marx et d'Engels. Et il rappelait sa réponse à Victor Adler qui lui avait dit : « Lénine est votre fils » d'un air mi-plaisant mi-sérieux : « S'il est mon fils, c'est assurément un fils illégitime ». U_ne notice biographique sommaire mais exacte complète la publication commémorative de la Revue Socialiste. (décembre 1956). Biblioteca Gino Bianco Enfin dans The Listener de Londres (27 décembre), on a pu lire un excellent commentaire d' Isaiah Berlin intitulé « Le père du marxisme russe ». La vie, les idées, les travaux et les mérites de Plékhanov y sont évoqués en termes très justes, jusqu'à « l'opposition totale à Lénine » et à la célébration du centenaire, en décembre, dans l'Union soviétique. I. Berlin cite une prophétie du défunt qui avait écrit : « Si le socialisme était imposé par la force, il mènerait à une monstruosité politique analogue à celles des Empires de Chine et du Pérou : à un despotisme tsariste renouvelé, avec une garniture communiste». (Plékhanov avait été bon prophète en d'autres circonstances, notamment en 1903 quand, après la· scission social-démocrate entre bolchéviks et menchéviks, il dit du jeune Lénine: « C'est de cette pâte que se font les Robespierre». Et quelque temps après quand, dans son Journal d'un social-démocrate, il prédit que les bolchéviks évolueraient de telle sorte qu'à la fin · « tout tournera autour d'un seul homme qui, ex providentia, réunira en lui tous les pouvoirs».) A notre connaissance, aucun autre écrit digne d'être signalé n'a marqué le centenaire de Plékhanov. Observation qui en dit long sur l'état présent du socialisme, dans l'ordre intellectuel (M. I. Berlin n'est pas socialiste). Mais qui en dit plus long encore sur la valeur des commentaires qui, dans le monde occidental depuis un quart de siècle, identifient le communisme stalinien au marxisme. Plékhanov avait fondé en Suisse le premier groupe marxiste russe, « Libération du travail », en 1883, avec des révolutionnaires issus comme lui du p,arti populiste de La Volonté du peuple : Paul Axelrod, Véra Zassoulitch, Léo Deutsch et V. lgnatov. Quand l' Iskra fut créée en 1900, le comité de rédaction comprenait, aux côtés de Lénine, trois · des pionniers du marxisme russe : Plékhanov, Axelrod et Zassoulitch, plus Martov et Potressov. Or cinq de ces doctrinaires marxistes s'opposèrent au sixième, trois ans après, au nom du marxisme. Plékhanov, Axelrod, Zassoulitcb, Martov et Potressov ont combattu Lénine jusqu'à la fin de leur vie. De part et d'autre, c'était à qui se prétendait le meilleur interprète et continuateur de Marx. Mais il est étrange que les « bourgeois » occidentaux, incapables de s'orienter dans ces controverses, aient décerné le brevet de marxisme orthodoxe à Lénine contre l'avis de Plékhanov et de ses compagnons, les introducteurs du marxisme en Russie. Encore subsistait-il quelque chose du

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