Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

QUELQUES LIVRES L'historien du socialisme s'arrête d'abord aux lettres échangées entre Engels et Lafargue en 1871 et 1872, alors que Lafargue, fuyant la répression versaillaise, se trouvait en· Espagne. Le rôle qu'il joua dans les conflits qui divisaient la région espagnole de l'Internationale n'est guère connu que par les récits des « jurassiens » et des « bakouninistes » (en particulier, par L'Internationale de James Guillaume), et le gendre de Marx n'y,apparaît pas sous un jour très favorable : les lettres ici publiées ne permettent ni de confirmer, ni de rectifier ces jugements. Mais on y voit qu'aux yeux d'Engels, l'action de Lafargue à Madrid avait été « d'une valeur inestimable pour nous et pour toute l'Association [internationale] ». Les lettres écrites entre 1882 et 1886 offrent beaucoup plus d'intérêt. Marx meurt en 1883 et Engels s'attelle à l'ingrate besogne de la mise au net et de la publication des manuscrits de son ami. Le 22 mai 1883, à une date où il croyait encore que le Capital tiendrait en deux · tomes, Engels , . . ecr1va1t : Le second volume va me donner un travail énorme, tout au moins le livre II. Il existe un texte complet d'environ 1868, mais c'est un simple brouillon. Il y a ensuite au moins trois, sinon quatre remaniements appartenant à diverses _ périodes ultérieures, mais aucun d'eux n'a été achevé ... Le troisième livre est terminé depuis 1869-1870 et n'a jamais été retouché depuis. Mais pour ce livre, où il est traité de la rente foncière, il faudra que je compare avec ses extraits d'ouvrages russes pour retrouver des notes, des faits, des exemples. Quelle tâche immense, et quelle abnégation de la part d'un homme qui avait entrepris une œuvre personnelle ... Au travers des lettres de Lafargue se reflète la vie du mouvement socialiste français à ses débuts, mais ce sont des reflets dans un miroir brisé. Engels était informé par la presse. Lafargue ne complétait son information que par accident, à moins qu'il n'eût un conseil à solliciter. On n'en trouvera pas moins, dans ce livre, des notes rapides, mais précises, sur le congrès de Saint-Étienne en 1882 et la lutte des marxistes contre les possibilistes, sur le Congrès de Roubaix en 1884 et la pénétration du marxisme dans le Nord, sur les poursuites contre Guesde, Dormoy et Lafargue (qu'elles étaient douces, les prisons de la Troisième République ...), sur les bagarres avec les anarchistes (en qui Lafargue, comme Guesde, était trop enclin à ne voir que des instruments aux mains de la police), sur les élections de 1885 qui portèrent à la Chambre les premiers députés socialistes, « le grand événement de l'année». Quel rôle joue Engels dans tout cela? Il apparaît d'abord comme le mainteneur de la do.ctrine marxiste, corrigeant l' Abrégé du Capital de Gabriel Deville, aidant Lafargue à réfuter les critiques de Leroy-Beaulieu contre Marx ou rectifiant ses affirmations théoriques, tançant durement (et assez injustement) Laura Lafargue pour les inexactitudes de sa traduction du Manifeste communiste. Biblioteca Gino Bianco· 65 Puis, au lendemain du premier tour des élections législatives de 1885, alors que les socialistes sont abattus par la victoire de la droite, il essaie de remonter les courages. Lafargue, à son insu, publie sa lettre : Pour écraser les opportunistes, il fallait une pression des deux côtés opposés, de droite et de gauche. Que la pression de droite ait été plus forte que l'on n'aurait cru, c'est évident. Mais cela rend la situation beaucoup plus révolutionnaire. Engels, d'abord, est furieux. Mais ce premier pas accompli malgré lui l'encourage à en faire d'autres. Il hésite d'autant moins que la situation intérieure française, à cause de la grande grève de Decazeville, et la situation internationale lui paraissent annoncer la révolution pour des temps très prochains. « Cet hiver sera décisif», écrit-il le 13 septembre 1886, et ce qu'il prévoit, c'est ou la guerre générale qui « doit finalement tourner à notre avantage, mais qui peut fort bien aussi retarder notre victoire», ou la révolution, « plus sûre », que les gouvernements veulent prévenir précisément en déchaînant la guerre. On le voit : le « socialisme scientifique » d'Engels ne le mettait pas toujours à l'abri des illusions, et c'est un des mérites de cette Correspondance que de laisser surprendre la pensée d'un des grands théoriciens du marxisme, si l'on peut dire dans l'intimité, avant qu'elle n'ait été harnachée de références, de gloses et de preuves. GÉRARD LAFERRE P. S. Un détail, mais qui a son prix : traduire cette ... phrase, écrite en 1886, « The present American movement ... is still in the Trades Union stage», par « Le mouvement américain actuel en est encore au stade syndicaliste», c'est commettre un anachronisme (car le mot «syndicaliste», sans doute forgé par Pouget, date des environs de 1900) et presque un contresens, car le syndicalisme s'oppose au trade-unionisme à peu près &utant que le bolchévisme. Après Staline BORIS MEISSNER : Das Ende des Stalin-Mythos [La fin du mythe de Staline]. Francfort, Instit1=1t de politique et· d'économie européennes, 1956, 214 pp. Les événements en chaîne suscités par les décisions du XXe congrès du P.C. de l'U. R. S. S. en février 1956 peuvent faire rétrospectivement de cette réunion l'un des jalons de l'histoire communiste. Aussi la Société allemande de politique étrangère et son Institut de recherches à Bonn ont-ils rendu un réel service aux analystes de langue allemande en publiant un volume contenant les importants documents ayant rapport au dit congrès. Ce livre a été publié sous la direction d'un juriste allemand, aujourd'hui attaché à l'ambassade de la République fédérale à Moscou, qui avait déjà compilé des recueils de ce genre, notamment un

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