50 Comment concilier les découvertes ou les aveux de ce genre avec les vieux mots d'ordre? Ainsi Z. Florczak est amené à se demander « quelle est la signification actuelle de la devise prolétaires de tous les pays ». « Il est plus que douteux, poursuit-il, que [les prolétaires australiens] veuillent s'unir avec les prolétaires de Pologne. En Australie, le salaire minimum est si élevé qu'il affecte même le désir des ouvriers d'améliorer leur niveau de vie... A la même époque, on assiste en Pologne à des révoltes comme celle de Poznan pour améliorer les conditions d'existence élémentaires. » 14 La Pravda de Moscou s'empressa de relever ce passage et d'accuser « M. Florczak » d'avoir piétiné le drapeau sacré de l'internationalisme prolétarien. 15 · « Notre situation économique est bonne, mais pas désespérée))' lit-on, sous une autre signature, dans Po prostu. 16 « Le système des stimulants [économiques] est peut-être le plus imparfait qu'on aurait pu imaginer », écrivait le même jour un auteur déjà cité. 17 Quinze jours plus tard, toujours dans Po prostu, un troisième constate que ce sont « les relations de production [qui] constituent le principal obstacle au développement des forces productives )); l'idée est familière, mais le contexte est nouveau, car cette fois-ci les « relations de production )) sont le « système socio-politique appelé stalinisme ». 18 La semaine suivante, deux autres critiques vont plus loin encore en donnant du « stalinisme )) . cette définition : << Système socio-économique ... où existe une relation de dépendance économique entre les masses populaires et le groupe des administrateurs, celles-là dépendant de ceux-ci. L'expression politique de cette relation est la dictature du groupe dominant sur le prolétariat )). 19 Pour remédier à cet état de choses, les critiques envisagent nombre de mesures : le contrôle ouvrier, la « socialisation )> au lieu de « l'étatisation )> des moyens de production, une restauration véritable des relations de marché, la participation ouvrière aux bénéfices et l'amélioration du calcul des prix de revient. Ces mesures inspirées du « titisme )> sont justifiées par une argumentation puisée à la même source : « Le stalinisme constitue l'une des formes les plus radicales de révision du marxisme ; il est caractérisé par le rôle réservé 14. Nowa Kultura, Varsovie, 1er octobre 1956. 15. < 1 Déclarations anti-socialistes dans la presse polonaise », Pravda, Moscou, 20 octobre 1956. 16. B. Wojnar dans Po prostu, 7 octobre 1956. 17. St. Brodski, op. cit. 18. R. Zimand, oP. cit. 19. S. Chelstowski et W. Godek: « La première patrouille», · Po prostu, 28 octobre 1956. BibliotecaGino··sianco LE CONTRAT SOCIAL à l'État... Pour Staline, l'expropriation des capitalistes n'était pas le dernier, mais le premier acte de l'État... Il n'y a pas de dictature du prolétariat tant que le travailleur demeure un s~larié au service d'une entreprise d'État, et non le maître de celle-ci». 20 Contre le dogmatisme Tandis que divers auteurs reprenaient ces conceptions syndicalistes pour répondre aux aspirations ouvrières, le jeune philosophe L. Kulaczkowski abordait franchement, dans N owe Drogi, la question du rôle des intellec,tuels dans le mouvement ouvrier. 21 Jamais le point de vue révisionniste n'avait reçu d'expression aussi complète. C'était d'ailleurs la première fois· que la revue officielle du Parti publiait un « manifeste )> de cette tendance. Kulaczkowski considère comme acquis que le communisme peut d'autant moins se passer des intellectuels « que la théorie marxiste se trouve actuellement dans une impasse ». Cette « impasse )> est manifeste, selon l'auteur, sur quatre plans, correspondant à autant de thèmes marxistes traditionnels : 1 ° il n'y a pas de paupérisation absolue de la classe ouvrière en régime capitaliste; 2° la théorie marxiste des crises ne s'applique pas au capitalisme contemporain; 3° la théorie de la révolution socialiste est également à revoir; enfin 4° la théorie du Parti et de son rôle dans l'État est erronée. Dans les milieux communistes la paralysie des esprits a abouti au dogmatisme, à une orthodoxie quasi-religieuse, enfin à l'adoration d11 chef infaillible : « Toute pétrification de la doctrine conduit nécessairement à sa transf ormation en mythologie ; entourée d'un culte rituel, elle· devient objet de dévotion, à l'abri de toute critique ... On salue alors com1ne autant de prodigieuses découvertes théoriques les lieux communs les plus affligeants. N'est-il pas saugrenu d'en être réduits à dire que toutes les inventions ne sont pas le fait d'une seule nation? On en est venu à présenter des lapalissades comme autant de victoires de la science. Il est prof ondément humiliant de s'entendre rappeler qu'il faut s'abstenir et de falsifier les documents historiques, et d'émettre une opinion scientifique sans preuves à l'appui, et de s'écarter de la question dans une controverse scientifique, etc. ». L'auteur conclut : « Il est pernicieux de restreindre la recherche scientifique, de vanter 20. Y. Kossek, R. Turski et W. Wirpsza : a Le contrôle ouvrier », Po Prostu, 30 septembre 1956. 21. L. Kulaczkowski : « Les intellectuels dans le mouvement communiste», Nowe Drogi, n° 9, septembre 1956, ·. pp. 22-53.
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