48 responsable. Après avoir abordé la question par le biais d'une étude de l'épistémologie marxiste selon Engels et Plékhanov, les critiques se décidèrent enfin à mettre en cause, non sans observer les règles de prudence nécessaires, les postulats mêmes de la théorie ·marxiste. Ainsi le débat s'était peu à peu étendu aux fondements de la doctrine : l'on vit alors même les animateurs de la propagande officielle céder du terrain. L'un des plus connus, le philosophe Adam Schaff, commença par réaffirmer « le caractère non ambigu de l'idéologie marxiste», le caractère de classe des critères de vérité, le déterminisme de classe dans la ~ulture et, par conséquent, la nécessité d'assurer la« domination totale du marxisme » par la mainmise du Parti sur les sciences naturelles et sociales. En même temps Schaff invitait les. savants à rechercher la vérité, sans prendre la peine de leur expliquer comment s'y prendre en cas de conflit ~ntre les deux conditions posées. Il fit cependant quelques concessions à ses contradicteurs et attaqua même le « culte de la personnalité » et ses conséquences funestes, ceci trois mois avant le rapport de Khrouchtchev au xxe Congrès. Après avoir remplacé ainsi l'infaillibilité du chef par celle du Parti, il en vint même (après le xxe Congrès) à affirmer qu'on ne pouvait considérer aucune institution comme infaillible. 5 Il y eut d'autres tentatives pour endiguer le courant « révisionniste)). Tout en reconnaissant le bien-fondé de certaines critiques, Zolkiewski - alors ministre de la Culture, mais remplacé depuis - rappela dans la revue théorique officielle du Parti, Nowe Drogi, que l'abolition du « culte de la personnalité» n'entraînait aucune renonciation au« marxisme-léninisme», ni aucun abandon du rôle dirigeant du Parti dans les arts et les sciences. 6 Un peu plus tard, la même revue revenait à la charge en publiant, sous la plume de H. Eilstein, un article qui attaquait les nouvelles revendications et rappelait que « la lutte contre le dogmatisme ne peut se transformer en lutte pour l'acceptation... du révisionnisme et de compromis éclectiques sur les questions de principe )) 7 • Le rapport secret de Khrouchtchev sur Staline porta un coup cruel à ces doctrinaires. Alors qu'en U. R. S. S., le texte complet n'eut qu'une diffusion très réduite, en Pologne le Comité central du Parti lui-même le communiqua sous forme imprimée à toutes les cellules du pays - sans doute pour ne pas laisser aux émissions de radio étrangères, très écoutées, le 5. Nowe Drogi, Varsovie, n° 4 :1956 .Nowe Drogi _n° 12 1955 7. Nowe Drogi, n° 2 ,1956. BibliotecaGino BiancoLE CONTRAT SOCIAL bénéfice moral de l'avoir fait connaître en Pologne. Ce fut un coup de théâtre, aux conséquences incalculables. Il devint impossible désormais d'endiguer le flot des critiques dans les limites prévues. Les esprits jusque là subjugués se mirent à tenir, dans le jargon orthodoxe, des propos franchement hérétiques. On n'hésitait plus à lancer des idées ambiguës, voire risquées : ne s'agissait-il pas d'appliquer les décisions du xxe Congrès? Ce mouvement s'enfla jusqu'à devenir une offensive générale contre l'orthodoxie. On chercha bien ça et là à mettre en garde les militants contre les « éléments hystériques petits~bourgeois », mais rien n'y fit. Peu à peu l'on vit tels « ingénieurs des âmes)), enfin rassurés, recouvrer une certaine liberté de pensée et même avouer qu'ils avaient violenté jusque là leur conscience. La jeunesse universitaire Ce fut la jeunesse universitaire qui prit la tête du mouvement. Dès septembre 1956, son hebdomadaire Po prostu devenait l'organe des intellectt1els animés du nouvel esprit. L'attitude courageuse de cette feuille lui valut presque aussitôt une popularité énorme. Son tirage atteignait rapidement le chiffre surprenant de cent cinquante mille exemplaires, épuisés moins d'une heure après leur mise en vente. En même temps se formaient des cercles de discussion, correspondant aux cercles Petoefi et Kossuth en Hongrie; les sujets de mécontentement ne tardèrent pas à y être abordés au grand jour. Cette effervescence intellectuelle ne manqua pas d'infléchir sensiblement le débat théorique qui se poursuivait toujours entre les défenseurs de l'orthodoxie et leurs critiques« révisio11nistes ». Pour le coµipte des premiers, Schaff se replia sur une nouvelle ligne de défense. 011 apprit ainsi qu'il était disposé désormais à désapprouver « la solution autoritaire des problè1nes scientifiques, imposée en vertu de l'importance des fonctions assumées dans la hiérarchie » 8 ; il ne fallait rien faire pourtant « qui risquât de compromettre la prééminence de la méthodologie marxiste dans les sciences». Ultime pirouette pour sauver la face, car déjà les « révisionnistes » l'emportaient. Le débat entrait d'ailleurs dans une nouvelle phase. Avant même que la· crise du Comité central éclatât au grand jour, les critiques avaient pris la tête de l'opposition contre les staliniens irréàuctibles, ceux qu'on appela par la suite le « groupe de Natolin ». Ils attaquaient même .Nowe Drogi) n° 6. 1956.
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