L. LABEDZ admises. Aux fins de cette polémique, les Polonais allaient désormais utiliser surtout non plus le discours d'ouverture de Khrouchtchev au Congrès, simple exercice d'escamotage, de surcroît malhabile, mais bien son rapport « secret » sur Staline. Sur le plan idéologique, la confusion était grande. Certains critiques de l'orthodoxie déf endaient simultanément des idées réformistes et révolutionnaires., parfois même sans bien en saisir l'incompatibilité. D'autres auteurs, sans omettre les assurances verbales de rigueur, semblaient se demander si le marxisme avait encore quelque chose à voir dans chaque question débattue. Tout en affirmant leur souci de mettre le marxisme « à jour », ils paraissaient chercher plutôt à le mettre à l'écart. Certains des anciens tabous, toujours en vigueur, ·ainsi que les années d'isolement de l'Occident, ne pouvaient manquer de gêner la discussion théorique, dont cependant la signification politique apparaît clairement aujourd'hui. L'idéologie peut servir, intentionnellement ou non, à couvrir des buts politiques. Il n'est pas toujours facile de délimiter « fausse conscience » et faux-semblants, doute sincère et camouflage voulu. En Pologne toutefois, au moins en ce qui concerne les plus jeunes participants, la sincérité ne semble pas faire de doute : ce fut une explosion de sentiments et d'idées refoulés depuis longtemps. Alors que pour les « hommes faits» il pouvait s'agir de s'adapter avec cynisme at:tx nouvelles règles du jeu, on reconnaissait, chez la plupart des jeunes, la manifestation d'une crise de conscience. Il est caractéristique qu'une récente conférence des étudiants militants ait adopté une résolution prévoyant la création d'une« association révolutionnaire de la jeunesse, de type réellement marxiste », association qui serait soit indépendante des jeunesses communistes polonaises, calquées sur le Komsomol, soit intégrée à celles-ci mais en y constituant un courant révolutionnaire. 1 C'étaient les jeunes surtout qui tendaient à se réclamer de la tradition, insistant sur les aspects révolutionnaires du léninisme, évoquant la guerre civile d'Espagne 2 , préconisant une forme « pure » de dictature prolétarienne (autrement dit : sans domination bureaucratique). Mais s'il était beaucoup question de la défense des intérêts ouvriers contre la bureaucratie, le débat 1. Trybuna Ludu, Varsovie, 29 octobre 1956. 2. Un combattant d'Espagne rappelant récemment comment les u staliniens » avaient liquidé leurs adversaires en Esl)agne républicaine, n'hésitait pas à demander si le u putsch » de Barcelone en 1937 « était nécessaire aux organisateurs des procès de Moscou ». J. Waka : « Affaires polonaises et esl)agnoles », Po prostu, Varsovie, 21 octobre 1956. BibliotecaGino Bianco 47 n'en portait pas moins essentiellement sur la culture. En Union Soviétique, la plus grande partie de l'intelligentsia pré-révolutionnaire, fortement marquée par l'Occident, avait été « liquidée » purement et simplement. L' intelligentsia polonaise ayant survécu physiquement, grâce à la durée relativement courte du régime communiste, saisit l'occasion que la campagne de « déstalinisation » lui offrait. Historiquement d'ailleurs, l'individualisme polonais s'oppose singulièrement aux traditions autocratiques de la Russie. Ainsi, tout relâchement dans l'ordre intellectuel exposait le communisme polonais à de redoutables incursions dans le domaine réservé de la doctrine. Les " révisionnistes ,, - Le premier auteur qui ait présenté une thèse résolument « révisionniste» est l'éminent sociologue Jozef Chalasinski. Dans la revue Nauka - Polska il osa soutenir qu'un partisan du matérialisme historique n'est pas tenu d'accepter sans réserve chaque affirmation des fondateurs du marxisme. Il laissa également entendre que les valeurs ne sauraient être déduites ni des sciences naturelles ni du marxisme. En dépit des remontrances qu'il s'attira aussitôt dans la Literatournaïa Gazeta de Moscou, il récidiva en faisant le bilan de dix ans d'orthodoxie marxiste dans l'étude des humanités : unanimité obligatoire, platitude dans le style, vide moral (compliqué de mégalomanie). Pas une seule œuvre présentant une valeur réelle. Pour l'auteur, la cause en est le monopole réservé au « marxismeléninisme », la suppression de la liberté et l'impossibilité de toute confrontation véritable des idées. 3 En termes à peine voilés, l'assaut était ainsi donné contre le monopole du Parti dans le domaine de la pensée. Ce fut comme un signal. A l'attaque de Chalasinski contre l'esprit de parti dans les sciences succédèrent d'autres actes d'accusation relatifs à ses ravages dans la littérature et sur d'autres plans. Les positions devenaient de plus en plus explicites. 4 Des attaques contre les pratiques staliniennes, on passa à la critique de la théorie marxiste ellemême. Les résultats de la mainmise intellectuelle du Parti ayant été jugés déplorables, on en vint tout naturellement à se demander dans quelle mesure le marxisme lui-même pouvait être 3. Jozef Chalasinski : « Problèmes de la culture contemporaine dans les humanités polonaises», Nauka Polska, Varsovie n° 2, 1955. 4. Voir notamment l'article d'un autre sociologue. St. Ossowski, sur la puissance créatrice individuelle. Przeglad Kulturalny, Varsovie, n° 13, 1956.
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