40 travaillant en collaboration avec un ennemi extérieur imaginaire à couler l'économie de l'Union soviétique. Ainsi, la grande« purge» démonstrative comme les milliers d'épurations locales sans publicité servaient la double intention d'éliminer ceux qui étaient censés s'opposer à Staline et « d'expliquer » à la population la persistance du bas niveau de vie. Vychinski le fit ressortir ainsi : On sait clairement désormais pourquoi il y a çà et là des interruptions dans les approvisionnements, pourquoi avec nos richesses et l'abondance des produits il y a pénurie d'une chose, puis d'une autre. Ce sont ces traîtres qui en sont responsables. 10 Vychinski souligna aussi le lien entre les divers procès. La thèse de Staline s'est vérifiée, dit-il : tous les procès ont mis à nu « l'espionnage systématiquement conduit... le travail diabolique des services de renseignements ' 11 etrangers... » Chose caractéristique, bien que ce fût en apparence à la thèse de Staline et à ses implications que Khrouchtchev s'en prit au XX0 congrès, ce qui l'irritait surtout était le fait que la fureur de Staline se soit dirigée contre le Parti lui-même : Pour employer la terminologie de Staline... des provocateurs infiltrés dans les organes de sécurité de l'État avec des arrivistes sans conscience ... [déchaînèrent] une terreur de masse contre les cadres du Parti ... Il suffit de dire que le nombre des arrestations motivées par les accusations de crimes contre-révolutionnaires décupla entre 1936 et 1937. 12 Khrouchtchev résuma l'ère stalinienne sur . , un ton angoisse : Pour l'essentiel, et en fait, la seule preuve de culpabilité utilisée, contrairement à toutes les normes de la science juridique, était la «confession » de l'accusé lui-même; et comme l'ont prouvé des enquêtes ultérieures, les «aveux» étaient obtenus en soumettant les accusés à des pressions physiques. 13 Le discours de Khrouchtchev est un chefd' œuvre d'hypocrisie. Certe~, sur les 1.966 délégués au XVII 0 congrès du Parti (1934), 1.108 furent arrêtés sous l'inculpation d'activité contrerévolutionnaire. Mais Khrouchtchev sait parfai10. Ibid., pp. 636-7. 11. Ibid. 12. The Anti-Stalin Campaign... , p. 30. 13. Ibid., p. 12. BibliotecaGino Bianco LB CONTRAT SOCIAL tement que ce n'était pas une question d' « enquêtes ultérieures » : tout communiste des cadres dans l'Union soviétique savait à l'époque ce qui se passait. On savait que les « aveux » étaient criblés de contradictions et d'évidentes absurdités ; on savait que les procès étaient des coups montés. A vrai dire, le discours même de Khrouchtchev corrobore les preuves acquises déjà que le Politburo savait parfaitement ce qui se passait : A la séance plénière du Comité central de févriermars 1937, beaucoup de membres mirent en doute la justesse de la ligne établie concernant les répressions massives sous prétexte de combattre la « duplicité ». 14 Khrouchtchev confirme ainsi qu'une opposition à la politique féroce de Staline s'exprimait jusque dans le Politburo. Ceux qui employaient les méthodes les plus méprisables contre des innocents, membres du Parti ou non, commencèrent à for_riluler des « doutes » quand la terreur policière les menaça eux-mêmes. Parmi ceux qui osèrent parler en 1937, il y eut Postychev, membre suppléant du Politburo. En effet, Khrouchtchev dit que Postychev exprima ses doutes « de la façon la plus pertinente», de même que Kossior, membre du Politburo - tous deux «liquidés». D'autres éminentes victimes staliniennes du monstre qu'ils avaient aidé à créer furent Tchou bar, Roudzoutak, Pétrovski et Eikhé : tous hommes de l'époque léniniste ayant lié leur sort à celui de Staline dans la lutte pour le pouvoir. Comment dès lors se fait-il que Molotov, Mikoïan, Vorochilov, Khrouchtchev et d'autres aient survécu ? Ils ont sauvé leur vie soit en se taisant, soit, quand leur intimité avec Staline rendait le silence impossible, en entretenant assidûment le culte du chef. A coup sûr Khrouchtchev n'était pas sans savoir ce qui se passait. Kossior par exemple fut « épuré » en Ukraine alors qu'il était étroitement lié avec Khrouchtchev. Sans spéculer sur les divisions et les rivalités possibles dans la haute direction du Parti, le but principal de la « direction collective » dans son ensemble est parfaitement évident. Khrouchtchev et ses collègues ont un intérêt vital à « réhabiliter » le Parti et à renforcer son autorité vis-à-vis de l'appareil de la police. La terreur de l'époque stalinienne a laissé les cadres du Parti soit démoralisés et amorphes, soit cyniquement et brutalement opportunistes. En tout cas, le pouvoir estime que pour avoir le 14. Ibid., p. 29.
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