H. DEWAR Cet effort est une transparente indication que l'actuelle « direction collective» est incapable de rompre avec le passé stalinien. C'est à Staline que les dirigeants soviétiques d'aujourd'hui doivent leur situation, et c'est sous son règne que furent façonnées leurs méthodes pour « gouverner » et dispenser la « justice ». Aussi Khrouchtchev et ses collègues n'admettront-ils pas que la genèse du procès inquisitorial de type stalinien remonte à bien avant 1934, en fait à 1922. L'idée d'exploiter un procès judiciaire d'adversaires politiques afin « d'éduquer » les masses eut pour la première fois son expression· concrète en 1922, quand fut monté le procès de vingtdeux membres de premier plan du parti socialisterévolutionnaire. A cette époque, la technique du procès spectaculaire n'avait pas encore été perfectionnée et, seuls, dix hommes de paille au service de la police consentirent à jouer le rôle de pénite11ts rampants et de propagandistes du gouvernement. Au début, l'État se contenta de ce nombre et permit même aux autres de se défendré pied à pied. Ceux-ci proclamèrent ouvertement leurs convictions politiques, refusèrent de reconnaître la compétence de la cour, etc. Juste avant le procès, les bolchéviks avaient conclu à Berlin, avec des représentants du mouvement socialiste international, un accord par lequel plusieurs éminents socialistes étaient admis à participer à la défense; et aux premières audiences, ils se montrèrent très actifs en faveur ., des accusés. Cependant, à mesure que le procès avançait, d'intolérables contradictions se révélèrent entre les conceptions de la justice acceptées partout et un procès politique sous le patronage soviétique. L'un après l'autre se dégagèrent les éléments essentiels du procès spectaculaire qui devaient plus tard devenir familiers au monde. 6 Le président donna le ton à la procédure en déclarant que le tribunal ne serait pas guidé par des considérations objectives mais par les intérêts du régime. Au cours du procès, Boukharine déclara l'accord de Berlin nul et non avenu et cela, couplé avec la tactique d'obstruction de l'accusation, contraignit les défenseurs étrangers à se retirer. Le plus important peut-être dans le développement du procès fut cependant la première utilisation de la technique d'agitation contre les accusés hors du tribunal. · Piatakov, président du tribunal, prit la parole à l'une des manifestations de masse dans la rue, de même que Boukharine qui vanta le rôle joué au procès par les dix qui avaient « avoué ». 6. Le com1>te rendu le 1>luscom1>let de ce 1>rocèsfigure dans V. S. Voïtinski, Les douze qui vont mourir (Berlin, 1922). Les sentences de mort 1>rononcées contre les accusés ne furent 1>as exécutées. BibliotecaGino Bianco 39 Au cours des années qui suivirent, le procès spectaculaire fut peu à peu porté à un haut degré de perfection. Les « preuves » étaient forgées de toutes pièces et, au moyen d'inhumaines tortures, les accusés étaient amenés à l'audience «préparés» à collaborer à leur propre perte. Au cours du procès dit de Chakhty (1928), par exemple, un groupe d'ingénieurs, personnifiant les « spécialistes bourgeois », endossèrent la faute des maux économiques chroniques du pays et accusèrent les « milieux interventionnistes » étrangers d'avoir dirigé leurs prétendus sabotages. 7 En 1930, la technique s'était encore perfectionnée et, au procès du « Parti industriel », tous les accusés sans exception avouèrent avoir «projeté» de saboter le premier plan quinquennal en l'établissant ou en le mettant en œuvre. L'un des témoins, amené sous une importante .escorte du Guépéou, était le professeur Ossadtchi, ancien membre du Conseil économique central du Soviet suprême et vice-président de la Commission du Plan d'État. Si incroyable que cela puisse paraître, Ossadtchi, qui avait été l'un des procureurs au procès de Chakhty, avoua avoir comploté avec les hommes mêmes qu'il avait condamnés à mort en 1928. 8 Le discours de Staline au XVIe congrès du Parti (juin-juillet 1930) donna au moins l' explication extérieure de tous les grands procès de Moscou. 9 Selon sa thèse, chaque fois que les contradictions inhérentes au système capitaliste deviennent aiguës, la bourgeoisie cherche à les résoudre en se retournant contre l'Union soviétique. Par bourgeoisie, Staline entendait surtout les nations étrangères, mais son principal propos était de justifier l'épuration de l'opposition intérieure à son pouvoir personnel. Les vastes « co1nplots » internationaux régulièrement découverts impliquaient certains communistes soviétiques, même parmi les plus illustres héros révolutionnaires, leur « crime » consistant dans leur opposition supposée à la dictature de Staline. Sans égard pour leurs services passés, ces hommes étaient condamnés comme saboteurs • 7. Aucun compte rendu officiel de ce procès n'a été publié. Parmi les sources secondaires, les meilleures sont H. H. Tiltman, The Terror in Europe (New York, 1932), et Eugene Lyons, Assignment in UtoPia (New York, 1937), notamment pp. 114-133. 8. Andrew Rothstein (éd.), Wreckers on Trial (Londres, Modern Books, 1931). 9. Parmi les sources sur les plus importants procès de Moscou : sur le procès des menchéviks de 1931, The Menchevik Trial (New York, 1932); sur le procès de la compagnie industrielle Metropolitan-Vickers de 1933, Le procès de N. P. Vitvitski ..• [et autres] accusés d'activités de sabotage dans les centrales électriques de l'Union soviétique, (Moscou, 1933), 3 vol. ; sur le procès de 1936, Le procès du centre terroriste trotskiste-zinoviéviste (Moscou, 1936) ; sur le 1>rocèsde 1937, Le Procès du centre antisoviétique trotskiste (Moscou, 1937) ; sur le procès de 1938, Le procès du « bloc des droitiers et des trotskistes » antisoviétiques (Moscou, 1938).
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