Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

36 et la masse dirigée. Considérant que, sous tout régime, l'élite s'efforce de conserver son pouvoir et ses privilèges et que cela n'est possible que par le recours à la violence ou à l'imposture (ou aux deux à la fois), Pareto affirmait que les formules, programmes, idéologies, constitutions politiques sont des «mythes» qui ne servent qu'à justifier et à «rationaliser » les actes de l'élite aux yeux des masses. Les lois de l'évolution sociale peuvent donc être retracées et découvertes, non d'après les formules verbales, les programmes et les idéologies professées, mais en analysant les actes réels de l'élite dirigeante. Toutes ces «thèses» n'ont pas été établies par le seul Pareto ; avec des variantes, non seulement Machiavel mais aussi des sociologues comme Sorel, par exemple, sont arrivés aux mêmes conclusions. Dans les déclarations de Pareto, qu'on considère comme le précurseur de la sociologie fasciste, il y a aussi beaucoup de léninisme pur. Le fondateur du bolchévisme lui aussi liait avant tout le problème du pouvoir au problème de l'élite, qu'il identifiait à «l'avant-garde », au «parti », à la «minorité consciente ». Dans ses ouvrages les plus caractéristiques*, Lénine ne cachait pas que l'élite ne peut conserver sa position dirigeante que par l'usage combiné de la force, de la terreur et d'une «tactique »spécifique qui revenait en dernière analyse à tromper. L'originalité de Pareto consiste cependant, non dans l'affirmation de la primauté de l'élite et dans les méthodes décrites de gouvernement par cette élite, mais dans les observations qu'il avait réunies sur la circulation de l'élite, ses types alternés et leur répartition. Dans la mesure où le caractère de la société dépend du caractère de son élite, où ses qualités et ses défauts procèdent de ceux de l'élite, certains pronostics sur l'avenir d'une société peuvent être faits en considérant la composition et la structure de cette élite. La sélection ne s'opère jamais selon le principe de la libre concurrence car la circulation de l'élite n'est jamais absolument libre. Dans toute société existent des obstacles à l'entrée dans l'élite; les enfants des privilégiés, indépendamment de leurs qualités et de leurs capacités, ont toujours de plus grandes chances d'accès à l'élite que ceux (ou les enfants de ceux) qui n'en sont pas. Pareto indique que l'application systématique d'un tel principe «aristocratique » recèle un danger de dégénérescence. L'élite devient presque «fermée » et le pourcentage des éléments faibles et de qualité inférieure y augmente ; dans le même temps les éléments les plus capables et de haute qualité de la société s'assemblent dans l'opposition à l'élite dirigeante. Un tel état de choses est «corrigé» par une révolution sociale qui, d'après Pareto, n'est rien d'autre que la « subite irruption dans l'élite d'un grand nombre de gens qui, par suite (*) Comme Que Jaire?, Les bolchéviks peuvent-ils conserver le pouvoir ?,La maladie-·infantile du gauchisme, et surtout dans ses lettres au Comité central à la veille de la révolution d'Octobre. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de divers obstacles, étaient écartés jusqu'alors de la position dirigeante qu'ils méritent». La vitalité et le dynamisme de la société ne dépendent pas seulement de la circulation plus ou moins libre de son élite. D'une importance capitale est également la question du type de l'élite, c'est-à-dire de savoir ·quel type humain est admis et lequel est exclu. Reprenant la terminologie de Machiavel, Pareto distingue pour l'essentiel deux types de représentants de l'élite : premier type, les <crenards », combinateurs rusés, arrivistes dont la force est dans l'intelligence, l'habileté, l'initiative, la perspicacité; en règle générale, pour atteindre leurs fins, ils préfèrent s'en remettre non à la force mais à la ruse et à la tromperie. Deuxième type, les « lions », dont les traits distinctifs sont la rectitude, l'esprit de décision, le fanatisme, la volonté et la capacité de recourir à la force en toutes circonstances. Après avoir analysé diverses structures politico-sociales de l'antiquité et contemporaines, Pareto en vient à conclure que la société est la plus forte et la plus prospère quand, premièrement, la circulation de son élite est relativement libre et, deuxièmement, quand les deux types y sont représentés avec une prédominance du premier. La /prédominance de <crenards» dans l'élite signifie que les esprits les plus perspicaces et les plus dynamiques, capables d'entraîner la société dans le sens du progrès, y sont concentrés ; la présence de «lions » atteste que l'élite est prête à recourir à la force en cas de nécessité intérieure ou extérieure. Les cclions » sont ainsi une sorte de garant contre le danger de dégénérescence, tandis que les «renards» constituent un antidote à la stagnation. Toutefois, même avec cette <cheureuse combinaison », insiste Pareto, il est nécessaire que les masses, dans leur immense majorité, soient pénétrées de foi dans le «mythe » ou l'idéologie professée par l'ordre social donné, qu'elles soient liées à l'élite par un sentiment de solidarité et qu'elles se déclarent prêtes, pour défendre ce «mythe », à accepter sacrifices physiques et privations. Les <cheureuses combinaisons » dans les sociétés stabilisées, conclut Pareto, ne durent pas longtemps, en règle générale. D'habitude, l'élite est sujette aux transformations suivantes : au premier stade, après des guerres victorieuses ou des révolutions intérieures, le type <clions» y prédomine, car, sortie de la révolution ou de la guerre victorieuse, la société a besoin, dans l'intérêt de sa conservation, d'un pouvoir fort, de chefs doués de fermeté, de caractère, d'attachement à l'idée, de fanatisme. Après la consolidation du régime, la tendance de l'évolution va au profit des <<renards». Avec la période d'activité de ces derniers coïncide d'ordinaire une ère de progrès matériel. Cependant, l'élite dans laquelle la proportion de combinateurs et d'arrivistes prédomine de plus en plus a tendance à perdre sa foi dans le cc mythe ». Pensant qu'on peut résoudre tous les problèmes par de savantes combinaisons, elle perd sa volonté et la capacité d'user de la force. Les intérêts matériels et, surtout, '

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