Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

32 mais alors déjà, ces restrictions étaient considérées par le Parti et par le peuple comme provisoires et devant être abolies à mesure de la consolidation de l'État soviétique. Le peuple acceptait sciemment ces sacrifices provisoires, voyant chaque jour de nouveaux succès de l'ordre social soviétique. » « En examinant cette question (c'est-à-dire en établissant les causes qui aboutirent à l'absolutisme de Staline ou au « culte de la personnalité et à ses conséquences négatives») - conclut la « Résolution » - il convient d'avoir en vue tant les conditions historiques objectives, concrètes, dans lesquelles s'accomplissait l'édification du socialisme en U. R. S. S., que les facteurs subjectifs, les qualités personnelles de Staline », c'est-à-dire d'une part ses précédents « mérites » dans la lutte contre le trotskisme, l'opportunisme de droite et le nationalisme bourgeois, mérites qui lui valurent dans le Parti et dans le peuple une popularité exceptionnelle, et d'autre part sa soif de pouvoir, sa présomption, sa cruauté, traits qui s'étaient développés en lui à la suite des succès de «l' édification socialiste ». Ainsi donc, le schéma de «l'analyse marxiste» est le suiva11t : l'encerclement hostile et la constante menace d'agression du dehors obligeaient à la défense ; la défense ne pouvait être assurée avec succès qu'au moyen de la centralisation du pouvoir et de l'asservissement du Parti et du peuple ; l'asservissement était aggravé par l'existence du « facteur subjectif», la personnalité de Staline ; aujourd'hui, à «l'étape historique donnée » où « le socialisrne est devenu un système mondial », les « conditions historiques objectives concrètes » ont changé et, par suite de la mort de Staline, le <c facteur subjectif » a également disparu, la période d'asservissement doit faire place à la période d'affranchissement. Il est vrai que la «Résolution» ne tire pas cette dernière conclusion sous forme catégorique, se contentant d'une allusion : l'asservissement, ou pour reprendre l'euphémisme du texte, les « restrictions de la démocratie ... étaient considérées par le Parti et par le peuple comme provisoires », sujettes à abolition dès la première possibilité. On peut, certes, objecter que ce schéma souffre d'une excessive simplification. Rappelons que la « forteresse assiégée» ne se bornait pas à la défense mais tentait parfois de tâter de la baïonnette « l'encerclement hostile », encore que, fidèles aux préceptes de leurs maîtres, les bolchéviks aient toujours cherché à procéder sous le masque de la défense. Il est bien entendu inexact que «l' encerclement capitaliste» n'ait songé qu'à détruire la 1< forteresse assiégée». Au contraire, les faits historiques prouvent qu'à l'exception d'un semblant d' « intervention », plus nominale que réelle, dans les premières années du nouveau régime, «l' encerclement capitaliste » sauva plus d'une fois la « forteresse assiégée »aux moments les plus critiques pour elle. Rappelons aussi que l'asservissement reconnu et l'affranchissement promis visent surtout le Parti et apparemment la classe privilégiée des « gens de service». L'asservissement de la grande BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL masse du peuple et, en premier lieu, des paysans, n'a pas été qualifié jusqu'à présent d'asservissement car la collectivisation forcée, reconnue nécessaire pour surmonter le « retard séculaire » du pays, est encore considérée comme une mesure ayant comblé de bienfaits la population rurale. Cependant ce qui frappe dans cette conception n'est pas seulement sa simplification. Non moins frappante est sa ressemblance avec les vieilles conceptions de la pensée historique russe qui, dans la Russie d'avant la révolution, tentaient d'expliquer « l'originalité » du processus historique russe ainsi que l'origine et l'essence de l'autocratie. Pour l'essentiel, cette conception se réduisait aux mêmes éléments de base : défense, centralisation, asservissement et affranchissement. Conformément à ce schéma, la Russie, de par sa situation géographique particulière, devait constamment se défendre contre les nomades asiatiques qui attaquaient la population sédentaire. La nécessité de défendre une vaste plaine qui se distinguait par « l'uniformité des formes naturelles», c'est-à-dire par l'absence d'obstacles naturels, donna naissance au pouvoir centralisé qui à son tour, toujours pour les besoins de la défense, fut obligé d'asservir la population. La nécessité de centraliser le pouvoir et d'asservir la population s'accrut encore lorsque l'État russe, après la défaite et la dislocation de la Horde d'Or, dut se défendre contre ses voisins occidentaux, mieux armés et organisés au point de vue militaire et technique. L'Occident, étant « non seulement l'ennemi mais aussi le professeur », obligeait le jeune État à dépenser pour la défense une part bien plus importante de son revenu national, car les anciennes méthodes bonnes à repousser le « danger asiatique » étaient inopérantes face à l'Occident. « L'asservissement» ne toucha pas seulement les masses paysannes; d'autres catégories sociales, y compris la noblesse, furent assujetties à la taille. Les nobles et les autres catégories sociales ne pouvaient remplir leurs obligations envers l'État qu'avec l'aide du travail des pay~ans asservis. Et quand l'asservissement cessa d'être nécessaire, le même pouvoir entreprit l'émancipation du pays. Il y a cent ans, cette conception, devenue une sorte de «trésor » de la pensée historique russe, fut développée par Serge Soloviev et Boris Tchitchérine. Par sa position naturelle, écrivait Soloviev, la Russie était obligée de mener une lutte constante avec les Asiatiques.. L'Asie ne cesse d'envoyer des hordes de pillards qui entendent vivre aux dépens de la population sédentaire ; il est évident que dans l'histoire de cette dernière, l'un des principaux phénomènes sera la lutte constante contre les barbares des steppes. Anticipant sur les théories des Eurasiens qui viendront plus tard, Soloviev avance l'idée qu'à la création d'un État unique et centralisé avaient contribué les conditions physico-géographiques particulières de « l'Ukraine du nord-est » dont le relief se prêtait mal à la formation d'États

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