I A. PATRI encore parfaitement . insoutenable. Comment, à l'âge d'or, les autres races caractérisées par les métaux moins précieux auraient-elles pu contaminer la race d'or, puisque par hypothèse ces autres races n'existaient pas encore? Si l'on veut comprendre quelque chose au mythe hésiodique de la succession des âges repris par Platon dans sa théorie de la succession des gouvernements, il faut précisément admettre que toutes les races dégénérées (et les gouvernements correspondants) procèdent de la race d'or initiale par voie de corruption interne et non d'adultération externe. Popper n'entend rien à l'alchimie platonicienne qu'il confond avec la chimie vulgaire : Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ? L'objet de la République de Platon est précisément d'opérer en sens inverse la transmutation, c'està-dire la réhabilition. Cela n'a absolument rien à voir avec le racisme et l'on ne gagne rien à interpréter Platon à la lumière de Rosenberg, à qui c'est faire beaucoup d'honneur que d'assigner un tel prédécesseur. Il faudrait donc s'entendre sur ce qu'est vraiment l'esprit anti-démocratique de Platon et son préjugé aristocratique. Une conception «aristocratique» en politique repousse en principe la désignation de l'élite au moyen du suffrage populaire. Platon s'est constamment tenu à cette vue. Il est difficile, sinon impossible, de dire si la conception aristocratique du pouvoir était ou non celle de Socrate, qui avait certainement plus d'égards que Platon pour les petites gens, mais poussait cependant très loin le principe de la supériorité des compétences dans n'importe quel domaine. Mais c'est ce qui montre aussi que la notion de l' «aristocratie» peut être interprétée de bien des manières. On peut reconnaître une aristocratie fondée sur le privilège de la naissance, sur celui de la fortune ou sur celui de la compétence et, dans ce dernier cas, il s'agira encore de savoir quelle est l'espèce de compétence à laquelle on a recours. L'aristocratie telle que la conçoit Platon n'est certainement pas l'aristocratie de la naissance, puisqu'il admet que les familles nobles ont pu dégénérer et que toute sa théorie de la succession des âges et des gouvernements a pour objet d'expliquer comment cela s'est fait. Il ne s'agit pas non plus d'une aristocratie de la fortune, puisque le philosophe ne cesse de faire valoir, en invoquant l'exemple de Sparte, que c'est précisément l'attrait de la richesse (les métaux précieux entendus au sens vulgaire) qui a été le grand corrupteur, ·produisant la transformation de l'aristocratie originelle en timarchie, puis en oligarchie, auxquelles doivent succéder finalement la démocratie et enfin la tyrannie. On a tort de voir chez Platon un apologiste sans réserve du système spartiate dont il connaît bien la dégénérescence, puisqu'il ne cesse de la souligner. L'aristocratie qu'il soutient n'est pas l'aristocratie militaire à laquelle il ne réserve qu'un rôle subordonné, mais l'aristocratie des «lumières». Le régime platonicien idéal, suivant l'excellente formule d' Auguste Comte, est bien une « sophoBibliotecaGino Bianco· 29 cratie ». On ne peut pas y reconnaître n'importe quelle espèce d'aristocratie et surtout pas l'aristocratie de la naissance. Ainsi comprise, la conception vient certainement des pythagoriciens qui avaient tenté d'établir un régime semblable à Crotone. Son authentique prolongement moderne n'est pas le racisme hitlérien mais le « despotisme éclairé» des philosophes du XVIIIe siècle, qui n'a guère eu comme réalisation de fait que le régime établi par les J ésuiter., au Paraguay. C'est à la notion du despotisme «éclairé» que devrait s'en prendre une critique du platonisme en politique, mais Popper, en proie à son obsession simplificatrice, est passé à côté de ce problème. Peut-on faire le bonheur du peuple malgré lui? La croyance correspondante n'est pas déracinée. Il est profondément injuste, d'autre part, de sous-entendre que pour Platon la démocratie athénienne était le pire des régimes. Le pire des régimes, Platon l'a désigné constamment comme étant celui de la tyrannie : il en a donné un inoubliable tableau dont la valeur concernant la « logique du pouvoir» est toujours actuelle. Popper va jusqu'à dire que si Platon détestait la tyrannie, c'est parce qu'à Athènes celle de Pisistrate avait précédé le régime de la démocratie. C'est là dénaturer la lettre aussi bien que l'esprit : dans la République, Platon a constamment soutenu que la tyranie succédait à la démocratie et ne la précédait pas, ce qui prouve bien qu'il ne s'agit pas de Pisistrate. Au demeurant, on sait fort bien à quoi il faisait allusion puisque ses relations aussi bien que ses démêlés avec les deux tyrans de Syracuse sont célèbres. Il est étrange qu'entreprenant l'examen de la politique platonicienne, Popper ait fait si peu usage de la VIIe lettre de Platon, dont l'authenticité est maintenant universellement reconnue et qui constitue en quelque sorte le testament politique du philosophe. On peut y voir comment, en proie à la même illusion que plus tard celle des philosophes du XVIIIesiècle allant chercher chez le roi de Prusse ou l'impératrice de Russie un bon tyran capable de réaliser leurs projets, Platon a été comme eux cruellement déçu et même encore plus sévèrement déçu, puisqu'il a failli y perdre sa condition d'homme libre. Il connaissait par expérience l'abominable régime dont il a .parlé avec tant d'éloquence, sans être pour cela ramené dans les chemins de la démocratie. Si, dans la République, la démocratie athénienne est encore pour lui l'avant-dernier des régimes, on voit cependant que, dans le Politique, il finit par reconnaître que c'est peut-être le «meilleur de tous les régimes déréglés» (Politique, 303 b). Si Platon avait consenti à développer davantage ce point, en admettant qu'il ne saurait y avoir de régime humainement « réglé » ou parfait, il aurait pu nous donner une justification « pessimiste » de la démocratie comme celle que propose aujourd'hui Jeanne Hersch dans son beau livre Idéologies et Réalité* • Paris, Plon, 1956.
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