24 émeutes que celle de la royauté citoyenne ! Il est intéressant de retenir que Sainte-Beuve a expliqué ces violences comme directement nées d'une souffrance populaire abandonnée à elle- " meme. Les libéraux, les beati possidentes, trouvaient que le monde marchait à une allure exagérée. Que parlait-on de créer un enseignement populaire qui le rendrait plus turbulent! L'accélération de l'histoire, Sainte-Beuve l'a perçue ; et l'ont perçue avec lui nombre de ses contemporains, notamment Lamennais qui trouvait que l'on ne pensait plus qu'en marchant ; notamment Renan qui, plus tard, regrettait que les individus n'eussent plus le temps de faire oraison. « Nous sommes dans un temps, écrit Sainte-Beuve, où tout se hâte, se divulgue et où la parole n'attend pas. L'événement d'hier est déjà de la chronique. » On pourrait ajouter ici d'autres citations. Plus le temps de la réflexion ; règne de l'àpeu-près. Un h1:1manisme apparaît de plus en plus nécessaire pour remplir le vide des croyances anciennes affaiblies, disparues. Il est grand temps d'agir, de prendre des précautions contre la corruption spirituelle qui sera le fruit pourri de l'ignorance et d'une molle philanthropie. « Un jour viendra, écrit Sainte-Beuve après 1830, où la nation corrompue au dedans, énervée par des n1œurs pacifiques, et gorgée de sophismes philanthropiques, se trouvera en face d'un ennemi armé, puissant, égoïste. Comment soutiendra-t-elle cette lutte formidable? » Quel texte à méditer ! Paroles prophétiques dont on sent qu'elles eussent mérité, à peine lues, une longue et fructueuse méditation de la part des contemporains de Sainte-Beuve. Négligées alors, ces pages restent en tout cas aujourd'hui, plus de cent ans après leur publication, de la plus cruelle réalité. Ce que n'ont même pas fait superficiellement ses contemporains, faisons-le attentivement en lisant les pages que Sainte-Beuve a écrites dans le Constitutionnel sur un plan d'études dressé en 1854 par Fortoul, ministre de l' Instruction publique. Il s'agit alors d'équilibrer Quintilien et Lavoisier, les sciences, les techniques et les humanités chères à Montaigne, projet devant avoir une influence directe et profonde sur l'avenir de.la société, écrit-il. Cet article et le projet de Fortoul paraissent oubliés, aujourd'hui ; il y a intérêt à les réveiller d'un sommeil qui ne va pas sans nous inquiéter sur la lenteur des cheminements idéologiques dans l'histoire des réformes les plus nécessaires. Là, il n'y a pas d'accélération historique. D'abord, Sainte-Beuve note les caractères, les tendances des conditions sociales à ce moment BibliotecaGin·oBianco LE CONTRAT SOCIAL du second Empire. Trouvera-t-on ceux-là et celles-ci bien transformés aujourd'hui? « Très peu de jeunes gens, écrit Sainte-Beuve, et cela est heureux, peuvent se passer d'un état, d'une profession; ceux mêmes qui le pourraient, sentent de bonne heure (ou leurs familles le sentent pour eux) qu'ils doivent faire comme s'ils en avaient besoin.» Si les études littéraires étaient traditionnellement l'objet de soins particuliers de la part du pouvoir et des maîtres de l'Université, les études scientifiques par contre ne bénéficiaient, elles, que d'un statut inférieur. Il était fâcheux, poursuit Sainte-Beuve, il le devenait de plus en plus, « que sans déroger, sans déchoir, on ne pût, à un certain moment, ~ et tout en participant dans une juste mesure à la culture réputée la plus noble et la plus délicate, se diriger vers les connaissances précises dont on devait faire le principal de son fonds social et son instrument de travail et de vie. » Il fallait, ajoute l' écrivain, « il fallait pour devenir un homme utile dans les carrières du haut commerce et de l'industrie, être ouvertement un transfuge des écoles de Rome et de la Grèce. » D'autre part, était-il conforme à l'intérêt général, dit Sainte-Beuve, que ceux qui choisissaient une profession libérale connaissent trop superficiellement l'essentiel des sciences, l'application perpétuelle de la science à tout ce qui améliore et perfectionne la vie ; l'éclairage, le chauffage, précise l' écrivain. « Ajoutons, conclut-il, pour respecter la loi du temps, ajoutons les sciences au savoir littéraire, Lavoisier à Quintilien. Donner sa place à l'utile en respectant les antiques images du beau, impérissables et toujours vivantes. » Des progrès ont été réalisés dans ce sens depuis l'article de Sainte-Beuve, mais le problème n'est cependant pas encore résolu. Comme de son temps? certains ne pensent à faciliter la prolif ération des techniciens qu'en biffant le passé, selon le bon Rollin. Sainte-Beuve jugeait qu'une telle négation du passé ne pouvait être, ne devait pas être admise en France. Ce qu'il convient de faire, pensait-il, c'est d'amener une conciliation entre les deux traditions. « Lumières antiques et lumières modernes, voilà ce qu'il [importe] plus que jamais d'assembler, de graduer ,selon une méthode amie et d'enseigner ouvertement dans un juste concert ». Ce concert, Fortoul avait tenté de l'établir avec la collaboration des grands noms de l'époque, Dumas et Le Verrier, Brongniart et Bérard dans l'ordre des sciences, Nisard et Ravaisson rendant témoignage auprès d'eux pour les lettres. La Fédération des associations de parents d'élèves et la Société des agrégés de l'Université, dans leur récent tract, Réf orme de l'Enseignement,
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