Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

, M.··.LEROY y a égalité civile, égalité politique, pourquoi pas égalité économique?» (p. 219.) Dans un discours au Sénat, en 1867, il osera même dire qu'à ses yeux .la mission de l'État serait de faire entrer le socialisme « dans l'ordre régulier de la Société. » Le socialisme - nous dirions aujourd'hui le social : Sainte-Beuve ne pense pas à tel ou tel système social. Ce sont de pareils propos qui ·faisaient dire à son amie, la princesse Mathilde, qu'il tournait au socialisme... On rappellera, en passant, que c'est à l'Empire que l'on doit les premiers textes de législation sociale que la Troisième République compléta et perfectionna. Je fais allusion aux textes qui légalisèrent les grèves, le droit de réunion, le droit d'association. Napoléon III fut appelé alors par Adolphe Guéroult un Saint-Simon à cheval. Est-ce à dire que Sainte-Beuve fut bonapartiste? On sait par les souvenirs d'un de ses secrétaires, le poète Auguste Lacaussade, que le rattachement de cet adjectif à son nom l'irritait. Un autre de ses secrétaires, Jules Troubat, dit que son maître était indifférent aux cocardes politiques, aux partis. Il s'est expliqué sur son ralliement à l'Empire : il s'est rallié à Louis Bonaparte comme à un moindre mal dans un moment où l'anarchie persistante menaçait le destin même de la civilisation. La mort héroïque de Baudin nous cache un peu ce quotidien dangereux, menaçant. Il n'y avait pas alors unité chez les républicains; les partis révolutionnaires étaient divisés par de fortes et farouches rivalités internes ; Barbès et Blanqui se haïssaient. Le désordre apparaissait général. Les ouvriers étaient divisés; nombre d'entre eux étaient partisans enthousiastes du prétendant. Proudhon a dénoncé furieusement surtout cette servilité. Les républicains les considérèrent par la suite comme les véritables créateurs de l'Empire, nous le savons par le livre de souvenirs d'un membre en vue de l'Association internatio- ' nale des travailleurs, André Fribourg. Au reste, depuis le retour des Cendres, il y avait dans le pays, étourdiment suscité par Thiers, sous Louis-Philippe, un état d'esprit bonapartiste dont il devait, avec la même irréflexion, favoriser le développement après les journées révolutionnaires de 48. Il en a fait l'aveu plus tard, en exprimant un regret, un repentir. Dois-je rappeler que Lamartine et Victor Hugo faillirent devenir les ministres du Prince-président, que Tocqueville, le sage Tocqueville, le fut; que Proudhon poussa l'aveuglement politique jusqu'à demander à Louis Bonaparte de devenir l'agent de la révolution sociale, et fut aveugle jusqu'à maniBiblioteca Gino Bianco fester, plus tard, des ambitions sénatoriales? Le ralliement de Sainte-Beuve doit être rapproché de ces circonstances pour être bien compris. Savoir subir son temps, apprendre à supporter ses faiblesses et ses aveuglements, c'est là un art que ce savant historien, ce lucide observateur si bien au fait des vicissitudes des civilisations, s'est donné à tâche de formuler et de répandre. Le subir avec intelligence, bien entendu, dans l'honneur. En temps de crise, « il n'y a, écrivait-il, qu'une chose à faire pot1r ne point languir et cr0upir de décadence : passer vite et marcher vite vers un ordre d'idées raisonnables, enchaînées, qui donne des convictions à défaut de croyances», et ainsi préparer « un point d'appui pour l'avenir.» Ne pas se perdre en discussions redondantes, en objections à tout propos ; comme Henri de Saint-Simon, il a détesté l'éloquence politique, qui n'est qu' éloquence, qui n'est que politique. Ces propos sont-ils aussi vagues qu'il apparaît au premier abord? Il suffit de lire Sainte-Beuve critique politique pour avoir la certitude qu'il fut bien, dans l'honnet1r, un sage, un empiriste, je ne dirai pas un opporturriste, le mot ayant la sonorité déplaisante d'un synonyme de satisfait. Je viens de souligner que Chateaubriand a compris l'évolution sociale de son temps ; il fut un ultra clairvoyant, à la différence de l'ultra qui fut le plus voyant comme théoricien,· Bonald. Avant 1830, Bonald écrit qu'il a entrepris d'écrire la « philosophie sociale» de son temps. Mais cette philosophie, mot trompeur sous cette plume, était à fond ennemie des transformations populaires décrites par Chateaubriand, par Sainte-Beuve. Aussi, loin d'aider l'évolution dans son cheminement, Bonald l'entrava-t-il, Sainte-Beuve l'a senti; et le sentit aussi son ami Renan qui, dans L' Avenir de la science) en 1848, souligna, non sans quelque indignation, que les « conditions du progrès futur » avaient été posées par ceux qui assuraient la direction intellectuelle et économique de la Cité sans se rendre compte de leur devoir, n'ayant su donner au peuple, écrit Renan, comme maîtres et gardiens, que le bagne et l'échafaud. Bonald veut maintenir le savoir dans l'élite. En vain, car il y a une question de diffusion du savoir qui se pose avec violence ; ce besoin n'a pas échappé à Sainte-Beuve, ·la royauté citoyenne n'ayant à son actif qu'un effort scolaire insuffisant. Cet effort doit être repris, continué, pour répandre l'instruction dans les masses. Les laisser incultes, c'est favoriser les émeutes, les explosions d'un refoulement destructeur de la èivilisation, pense Sainte-Beuve. Certes, quelle époque fut plus tourmentée par les •

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