22 la Restauration, avant que le mal ait atteint le corps social au plus profond de lui-même. Et se penchant sur un présent qui ressemble au nôtre par quelques côtés, il se montrait irrité par l'e~cès de rationalisme des libéraux, qui prétendaient épurer la réalité, c'est-à-dire la débarrasser de.s passions et des intérêts populaires, pour nueux la voir, pour ne prêter l'oreille qu'à l'instinct public à l'état pur, et ce faisant n'arrivant qu'à démontrer leur incapacité politique. . ~hateaubr~and fut plus clairvoyant que les liberau.x. Sainte-Beuve l'a sot1ligné lui qui fit publier par la Revue des Deux Mo;des un texte extraordinaire du Sachem où le social nouveau était décrit en quelques pages lucides annon- . . ' ciatrices de la révolution sociale en voie de devenir, annonciatrices même du socialisme futur. Pour parler comme Sainte-Beuve Chateaubriand n'a pas été de ceux qui de la :< scène ne voient jamais que le devant». Comme SainteBeuve, Chateaubriand a pensé en harmonie avec le saint-simonisme auquel nul contemporain n'a échappé ; d'ailleurs il le connaissait lui tr.ouvant, a-t-il écrit, « de la portée ». Voici: e.xtraites de cet article sensationnel, quelques lignes, les plus particulièrement suggestives : Les symptômes de la transformation sociale abondent..... Les doctrines les plus hardies sur la propriété, l'égalité, la liberté, sont proclamées soir et matin à la face des monarques qui tremblent derrière une triple haie de soldats suspects ... ... Quand il ne s'agirait que de la seule propriété ' h . '"' , n Y toue era-t-on point r Restera-t-elle distribuée comme elle l'est? ... Une société où des individus ont deux millions de revenus tandis que d'autres sont réduits à remplir leurs bouges de monceaux de • pourriture po1;:11y" ramasser des vers (vers qui, vendus .aux pecheurs, sont le seul moyen d' existence ae ces familles, elles-mêmes autochtones du fumier), une telle société peut-elle demeurer stationnaire sur de tels fondements au milieu du progrès des idées ? Voilà les textes que Sainte-Beuve crut devoir diffuser avec l'espérance que les libéraux au pouv?ir en feraient leur profit. Vain espoir. Les ~vertissements .au pouvoir se multipliaient : emeutes, tentatives répétées de régicide. Autre avertiss.ement, Sainte-Beuve signala que le romantisme devenait social après 1830 ; il n'est plus ~ne mé~idation intérieure; un cri spleenique, le cri spleeruque de René et d'Obermann. Cette évolution, Sainte-Beuve l'a notée dans un article du 11 octobre 1830 sous un titre évocateur cc Espoir et vœu du mouvement littéraire e; poétique après la révolution de 1830 » : Ce ro~~tisme a dû;·· amener par contre-coup 1numamtansme. On n avait voulu voir dans une BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL œuvre que les conditions de l'art pur; cela a conduit les contradicteurs à n'y voir que l'idée sociale et le bon motif amplifié jusqu'au grandiose. La révolution politique de 1830 a donné le signal naturel à ce revirement littéraire. Social, socialisme, deviennent des mots courants. Le mot révolution entrera bientôt dans la poésie par les soins de Victor Hugo : Les révolutions, monstrueuses marées, Océans fait des pleurs de tout le genre humain ... Ces vers sont extraits des Contemplations ; ils datent de 1846. Le roman social naît alors avec George Sand ; Valentine est de 1832, Jacques, de 1834. « Dès lors on se préoccupe plus de soi et de l'état de la société tout ensemble », écrit Sainte-Beuve en 1833. Curieuses connexions, ceux qui étaient alors catalogués comme avancés politiquement étaient conservateurs littérairement et socialement. Jouffroy aime Scribe, Armand Carrel aime Casimir Delavigne. C'est peut-être dans son livre sur Proudhon que Sainte-Beuve a livré le meilleur de sa pensée sociale, la complétant plus tard à la tribune du Sénat : 1865, 1867, 1868. On doit souligner que la publication d'une telle étude, en 1865, l'année même où il entrait au Sénat, ~émoignait d'un grand courage politique et intellectuel; Proudhon, homme-terreur, étant considéré par ses contemporains comme un . ennemi de la société plus redoutable que Barbès et Blanqui, émeutiers infatigables. · En Proudhon, Sainte-Beuve a aimé le plébéien instruit, qui s'est fait lui-même, l'honnête homme, l'homme préoccupé du bien général, l'homme à idées libératrices, se montrant antipathique par contre à la rudesse de ce nouveau « Spartacus », à ses exagérations dialectiques, à tout ce qu'il y avait en lui, malgré ses efforts, de certitude unilatérale. ~roudhon a été le .grand théoricien de l'égalité. Sainte-Beuve ne se sent pas éloigné de telles tendances. Déjà en 1863, un jour, au dîner Magny, il s'écria à l'effroi des Goncourt : « Il faut que tout se renouvelle, que chacun travaille à son tour. » 11 a un peu précisé sa pensée dans d'autres propos dont voici la substance : « Tous propriétaires, ou plutôt possesseurs, ou l'État seul propriétaire, avec des fermiers, des locataires.» Ce que Sainte-Beuve a souhaité c'est la di~usion de la propriété par les moyen~ les plus divers, pour respecter - je le cite textuellement ici - « une tendance générale de la société et de la civilisation vers l'ordre, l'ordre pacifique et économique. » Toujours dans son Proudhon, il écrit : « Il
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