Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

SAINTE-BEUVE POLITIQUE ET SOCIAL par Maxime Leroy Il est d'habitude courante de ne voir en Sainte-Beuve qu'un critique littéraire. Celui qui a parlé si magnifiquement de Molière, de Pascal, de Racine, de La Fontaine, est certes un grand critique littéraire ; mais, plus encore, il est un grand historien des idées et des sentiments, l'historien de son temps ; et il est aussi un moraliste et un psychologue pénétrant. Sainte-Beuve est, pour tout dire, l'éminent historien des vicissitudes de l'esprit humain . depuis la Grèce et Ron1e. Cet historien Sainte-Beuve, cet historien qui a appartenu à l'Académie française et qui aurait pu appartenir aux Sciences morales, Bainville l'a étudié, il a même publié, dans un volume remarqué, des extraits tendant à prouver l'originalité, la maîtrise historique de l'auteur des Lundis et de Port-Royal. Sainte-Beuve penseur politique a été, à l'occasion d'un livre dont il rendait compte, salué comme tel par un des maîtres de la critique de notre temps, Émile Henriot. Ce qui a été publié sur ce sujet n'a pas laissé de doute dans son esprit. Ces études sont bien honorables pour la mémoire de Sainte-Beuve. Les articles de Sainte-Beuve, ses Portraits littéraires en particulier, sont, dès le début, remplis de notations politiques et sociales ; et les derniers, les Causeries du lundi et les Nouveaux Lundis, sont encore plus riches de réflexions du même ordre. Sous Louis-Philippe, il fut constamment en opposition avec un régime auquel il reprochait son ignorance du social; il ne manquait aucune occasion de la souligner ; sa verve politique était à cette époque en perpétuelle rumeur. C'était alors le triomphe des libéraux, BibliotecaGino Bianco • dont les plus typiquement caractérisés ont reçu le nom de ·doctrinaires. Que ces libéraux fussent des hommes distingués, d'une culture étendue, Barante, Rén1usat, Duvergier de Hauranne, sans parler de l'ancêtre Royer-Collard (dont M. Roger Langeron a, ces temps-ci, ranimé le souvenir effacé), Sainte-Beuve ne l'ignorait pas ; il leur a consacré des lignes sympathiques, et même élogieuses ; mais il savait mieux encore que ces grands bourgeois, indifférents à la peine humaine, laissaient s'installer et se développer dans le désordre un régime économique né d'initiatives qu'animait un affreux esprit de lucre. Ce régime, celui de la grande industrie naissante, un observateur du plus haut mérite, le Dr Villermé, qui a honoré l'Académie des sciences morales par une admirable enquête sociale entreprise sous ses auspices, publiée en 1840, l'a peint avec clairvoyance en des pages dont quelques-unes exhalent un mépris sans mélange pour les chefs industriels de cette époque; un mépris d'ailleurs formulé avec prudence. Je rappelle cet ouvrage pour appuyer les observations non moins sévères de SainteBeuve, qui sont, elles, d'un moraliste ; observations d'un homme qui a traversé fructueusement le saint-simonisme; non celles d'un juriste, d'un économiste ou d'un hygiéniste. Il faut insister sur ce point : aux libéraux, Sainte-Beuve a reproché d'avoir ignoré le côté humain des difficultés sociales qui ne manquaient pas de tourmenter le règne de Louis-Philippe. Puis-je rappeler les insurrections lyonnaises . en 1831 et en 1834 et la célèbre formule des émeutiers : « Vivre en travaillant ou mourir · en combattant », formule dont on a contesté, à

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