18 pouvoir, à la manœuvre internationale fait l'objet d'une constante étude et d'une constante application. En ce sens, le communisme est bien un produit de l'âge de la technique. Il ne manquait plus à cette sophistication générale de la pensée politique que le recours à des confirmations qu'on dit expérimentales et donc scientifiques. Pour renouveler quelque peu la terminologie, on parle d'empirio-criticisme ; puis on se lance dans une philosophie de l'histoire devenue banale et creuse mais dont des intellectuels patentés et embrigadés continuent à faire grande consommation. Il ne s'agit pas tant de retrouver à toutes les époques et sous toutes les latitudes la sociologie matérialiste et la lutte des classes que d'assigner à l'histoire, grâce aux complaisances de la dialectique, un sens invariable conduisant au triomphe universel du prolétariat, triomphe qt1i serait d'abord celui du Parti et des nations d'avant-garde. Le simplisme de cette prédication n'a guère besoin d'être mis en lumière ; elle découle d'un article de foi auquel on en peut opposer d'autres non moins plausibles et qui peuvent tout aussi bien se récl~mer de leçons en1pruntées aux siècles passés. L'invocation sacrarrientelle du sens de l'histoire n'en exerce pas moins sur beaucoup d'esprits un empire à peu près magique. Une crédulité aussi persistante est d'autant plus nocive qu'à nouveau s'introduit ici un principe de perversion. Il est dans la nature des philosophies de l'histoire d'ouvrir l'esprit humain à la prophétie et de conditionner l'étude du passé par une vue d'avenir qui est le plus souvent une évidence du sentiment. Du moins ce primat de la conscience englobe-t-il un idéal, une doctrine ou une image symbolique de la justice. Le communisme contemporain vise bien plus bas; compte tenu du passage qu'il opère de la spéculation à la pratique et à la tactique, son avènement lui paraît contenir toutes les promesses et même déjà toutes les réalités. Qu'il atteigne à la puissance absolue, cela suffira. Qu'on lui fasse confiance et il décrétera le bonheur, il enjoindra aux hommes d'être heureux et libres, les réfractaires étant traités comme des malades ou des criminels. C'est pourquoi, dans la diluvienne littérature dont il nous accable, la description de la cité parfaite, de la société sans classes, reste en somme si vague, tandis qu'il y est inlassablement parlé de la prise du pouvoir et de l'extermination des méchants. Confusion complète de la fin et des moyens, substitution des moyens à toute fin, en un sens il n'est rien de plus banal, mais on n'en saurait trouver aucun exemple qui soit plus net et plus • • permc1eux. BibliotecaGino_Bianco LE CONTRAT SOCIAL Lorsque les communistes déclarent que tout en poussant au tombeau l'ordre ancien ils ont le droit de s'en dire les très légitimes héritiers, leur thèse combine un peu de vérité à un flagrant mensonge. Certes, ils utilisent des tendances et des formules inséparables de la pensée politique qui s'est exprimée généreusement depuis le XVIIIe siècle : volonté de libération, désir de communion sociale et, par l'organisation même, de remontée vers la foi vivante, désir aussi d'écouter comme il faut les voix bourdonnantes de l'histoire et de les traduire en langage clair. Mais ils ont renié l'intuition primordiale et salutaire qui veut réaliser une difficile harmonie propice à l'entier développement de la personne humaine qui est esprit et corps, physique et métaphysique, raison et foi. Se couvrant d'une phraséologie qui devient constamment hypocrite, ils ont tout ramené à la matière et à la mécanique, à l'idolâtrie du Parti et de l'État dictatorial, à la considération d'un succès apte par lui-même à justifier le fanatisme et l'emploi de n'importe quel moyen. Si c'est là du « marxisme >>, on comprend que Marx se soit senti fort mal à l'aise devant certains de ses disciples au point de dire avec humour qu'il n'était, lui, pas du tout marxiste. Plus généralement, on trouve étrange le cynisme de vouloir tra,.vaiiler en toute sécurité à la ruine d'une société où le Parti s'installe pour la mieux détruire, protégé qu'il est par des lois qu'il entend violer, tourner ou abolir dès qu'elle sera trop faible pour se défendre. Il serait fâcheux d'en venir à ce qt1e disait Clemenceau en 1919 : entre eux et nous, c'est une question de force. Mais à qui la faute et comment nier que ce qui est juste doive être fort? Le pacte social, on s'en doute bie11, n'est pas un acte notarié, une convention préludant à l'existence de la cité. Obligatoire et pourtant libre en son essence, il est conscience d'une destinée commune, pensée individuelle et collective. Il engage tout l'homme, non pas celui des abstractions juridiques, à peine plus celui qu'on définirait mal par des critères économiques, mais celui qui se reconnaît en ses idées les plus nobles comme en ses plus hautes aspirations religieuses, celui que la culture antique et chrétienne ré~èle à notre intelligence. Il doit être assez souple pour se modeler sur les réalités historiques sans que se désagrègent ses principes, et pour se prêter aux alternances que lui fait subir le cycle des approximations par lesquelles il se nuance. Les intellectuels dignes de ce nom n'auront jamais fini de méditer sur cette essence de la politique, non plus que sur ses successives incarnations temporelles. LÉON EMERY
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==