L. EMBRY pouvait tant attendre, eut des suites fâcheuses et qu'il nous reste à la mieux déchiffrer pour nous mieux guider. On voit qu'il convient de renoncer à l'idée naïve d'un contrat social qui serait un théorème dicté par la raison raisonnante ; sans cesse rejetés d'un terme sur l'autre, d'un excès à un autre excès, nous cl1erchons le nœud, le point d'équilibre, le lieu du compromis instable et nécessaire entre la liberté, la justice et l'histoire positive. Du moins sommes-nous assurés que toute élaboration d'une doctrine politique, si elle ne peut par nature se confondre avec la spéculation morale, doit accepter la présence suréminente de la justice et de la liberté humaine. Or l'époque actuelle nous contraint à porter les yeux vers , . . une etonnante corruption, une gigantesque parodie de l'idéalisme social ou socialiste; elle est le fait d'une secte qui se dit « marxiste » mais devant laquelle Marx, selon toutes vraisemblances, reculerait d'effroi. On entend assez par là ce communisme stalinien qui prit figure d'impérialisme barbare mais aussi de frénésie doctrinale, et dont il faut dessiner quelques traits. Si le communisme de nos jours reprend et orchestre l'appel à la liberté, s'il capte ainsi pour les utiliser des sentiments dont l'énergie est bien connue, toute application à la personne disparaît de son langage, où il n'est plus question que des masses. Le programme d'émancipation est ainsi transféré au bas niveau de l'être collectif en lequel s'agglomèrent les corps et les consciences. Partant de la thèse marxiste de l'aliénation, du procès intenté au capitalisme qui priverait le salarié de sa dignité d'homme, le communisme impose et glorifie une autre· aliénation bien plus rigoureuse, bien plus absolue, prescrite comme vertu civique et principe de salut. Un esclavage qu'on se doit d'honorer ou d'adorer jusque dans les bagnes fait ainsi son entrée dans la logique du système et l'on brandit sans peur le paradoxe inouï qu'un mineur des camps sibériens ou chinois est plus libre qu'un ouvrier anglais, français ou américain. Mais si ce délire métaphysique, ce défi à tout bon sens, annihile pratiquement le droit d'exister pour la plupart des citoyens, pour les molécules de la masse, comment se formera la « volonté générale » ? Qui donc exercera la puissance, détiendra l'autorité ? Voici une pétition de principes d'une incroyable audace. Le Parti s'adjuge l'omniscience politique, puis la supériorité sacerdotale et rêve d'employer l'État, l'État sanctifié, comme un médiateur toutpuissant entre lui et la foule. Mais il restait, ibliotecaGino Bianco· 17 là aussi, à se faire vertu de l'outrance, à proclamer l'unicité du Parti qui n'en doit tolérer aucun autre puisqu'il est la vérité totale, à créer la caste ou la milice des révolutionnaires prof essionnels, janissaires et mameluks du nouvel Islam, à fabriquer l'appareil un et double du Parti-État, de l'État despotique manœuvré en chacui1 de ses rouages par les mandataires du Parti, eux-mêmes soumis à quelques chefs ou finalement à un chef suprême. Comme il n'est pas possible aux hommes de se donner corps et âme à ce qu'ils verraient clairement n'être qu'un appareil, force fut bien d'envelopper la réalité dans les formes de la religion la plus grossière. Ainsi un socialisme qui se prétend matérialiste et scientifique engendra la plus monstrueuse idolâtrie collective et personnelle qu'on ait jamais connue; le culte de Staline restera pour le philosophe et l'historien l'exemple de ces phénomènes devant lesquels il faut bien admettre l'intégration de la folie dans la raison ou de la raison dans la foiie. L'idyllique conception de la religion civile, de la théocratie politique aboutit à une religion close, centrée sur les décisions et les caprices d'un tyran, massive et écrasante, foncièrement inhumaine. On ne saurait trop insister ici sur les méfaits de l'équivoque, sur les abus du langage. Nous avons commenté sans chaleur l'apparition, la multiplication des partis politiques ; du moins étaient-ils composés de citoyens pareils aux autres et retenus par leur nombre même, par les conditions publiques de la concurrence électorale, sur la pente de l'intolérance et du fanatisme. Comment ranger sous la même étiquette, comment admettre légalement dans la société une organisation toute différente, instrument de guerre civile, de coup d'État et de police après la victoire? Comment reconnaître en droit l' existence de révolutionnaires professionnels, puisqu'enfin cette formule définit manifestement celui qui se considère comme un hors-la-loi, comme un ennemi de la loi? S'il est un ennemi déclaré, la plus élémentaire logique prescrit de le traiter comme tel, c'est-à-dire de paralyser son action, de lui enlever ses armes. Que le parti communiste ne soit nullement un parti au sens classique du terme, cela se voit non seulement par sa ferme volonté de détruire tous les autres dès qu'il le peut, mais par la manière dont il subordonne la doctrine à la tactique et à la stratégie ; Lénine, on le sait, rangeait Clausewitz parmi ses maîtres. Il est facile de constater, de Marx à Staline et à ses épigones, une sclérose de la pensée communiste ; mais tout ce qui touche à la propagande, à l'agitation, à l'encadrement des masses, à la manipulation des passions, à la conquête du •
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