Le Contrat Social - anno I - n. 1 - marzo 1957

' ... -- . • .. DU CONTRAT SOCIAL par Léon Emery Le génie s'approprie tout ce qu'il touche : en 1752 Rousseau publie un petit livre dont il se déclarera plus tard fort mal satisfait et qu'il intitule Du Contrat· social; c'en est assez pour qu'on voie couramment en lui l'inventeur du mot et de la chose. Il n'y avait là qu'un lieu commun de la pensée politique, auquel le philosophe suspendait ses déductions et qui constituait sans aucun doute la pièce la moins neuve de son système. 11sera permis néanmoins d'aller à Rousseau non seulement par gratitude, mais pour lui demander un enseignement qui viendra moins de ses thèses que du mouvement et de la suite de ses pensées. On sait qu'il procède au début de son ouvrage d'une manière toute logique et géométrique, qu'il se place en cet absolu de l'esprit où surgissent les évidences. « L'homme est né libre et partout il est dans les fers » ; en une ligne voici posé le principe ou l'axiome, définie l'opposition entre la liberté personnelle et la servitude sociale. On ne peut supprimer, effacer aucun des deux termes, pas davantage les dissoudre en un compromis qui avilirait la liberté, qui affaiblirait l'ordre social devenu nécessaire ; il ne reste donc qu'à chercher la solution en une synthèse dialectique, en une intégrale conciliation des contraires. Rousseau croit y parvenir en faisant planer au-dessus de la cité la seule autorité juste, la « volonté générale » qui n'est pas une somme, mais une fusion transcendante des volontés particulières, une sorte d'harmonie mystique ; tout citoyen étant ainsi, simultanément et en chaque circonstance, gouvernant et gouverné et Biblioteca Gino Bianco· n'obéissant qu'à lui-même, le problème est résolu. Mais l'est-il ailleurs que dans la sphère des concepts, autrement qu'en une jonglerie sublime? Qu'a-t-on fait, sinon postuler cette « volonté générale», ·essence ou mythe, obscure divinité? Rousseau s'en avise d'autant mieux que, changeant de méthode, il ne craint pas de pénétrer consciencieusement dans les halliers de l'histoire politique, bien propres à faire naître en lui l'inquiétude et le découragement. « S'il y avait un peuple de dieux, il vivrait en démocratie »... ; mais c'est pour des hommes qu'il faut légiférer et l'on ne voit que trop ce que furent leurs républiques. Pour sauver une foi qui déjà chancelle, le philosophe requiert l'aide de la religion civile, donc d'une religion dite universelle et naturelle qui sera proclamée obligatoire, l'athée encourant aussitôt une sentence d'exil. Nous voyons bien que la « volonté générale » deviendra réalité dans la mesure où elle sera l'expression d'une communion, l'âme d'une Église ; mais il en faut conclure que toute cité est une théocratie, que toute autorité sociale suppose une révélation, un législateur inspiré, un clergé. D'ordinaire on s'en tient là, sans même remarquer assez que l'ouvrage, entrepris sous la poussée d'une véhémente revendication libertaire, s'achève par l'apologie de la discipline conservatrice et la condamnation de l'hérétique ; mais c'est Rousseau qui va donner ici un exemple de probité, car personne n'a jugé le Contrat social plus durement que lui, lui seul ayant le droit en pareille matière d'être sévère jusqu'à l'injustice. N'ira-t-il pas jusqu'à dire que le •

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