10 de la technocratie et le rêve (ou le cauchemar) d'une société d'égaux. * ,,. ,,. Les résultats de l'analyse théorique rejoignent et complètent ceux de l'analyse historique. Droite et gauche qui se situent à l'intérieur des régimes mixtes d'Occident collaborent sans peine, parce que les statuts de propriété et les modes de fonctionnement n'apparaissent plus comme des absolus (socialisme, capitalisme) entre lesquels il faut choisir, mais comme des techniques dont l'usage combiné est possible, chaque combinaison ayant peut-être avantages et inconvéhients (celle qui assure la croissance la plus rapide peut entraîner une inégalité accrue). Cette coopération de fait n'exclut ni dialogue sur les moyens actuellement préférables ni opposition sur les buts eux-mêmes. Le dialogue sur les moyens est d'autant plus simple que l'homogénéité d'un pays est plus grande. En Grande-Bretagne, le programme de gauche comporte à la fois l'extension de la propriété collective et la réduction des inégalités de revenus. Tant que l'inégalité semble due aux fortunes accumulées et aux profits plus qu'à la différenciation des salaires et traitements, la gauche englobe dans le capitalisme qu'elle dénonce les écarts de revenus et les lois de propriété. Gauche et droite se retrouvent, en ce cas, pour épargner les « petits propriétaires », que leur pauvreté recommande à la bienveillance d'un camp et leur qualité de propriétaire à la bienveillance de l'autre, mais que leur faible rendement devrait exposer à la sévérité des deux. Même en un pays homogène, le souci de production ajoute une variable supplémentaire et complique le dialogue. Un « productiviste » de droite pourrait se résigner à la propriété collective pour accroître les investissements. Un socialiste pourrait consentir à un ralentissement de la BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL croissance pour éviter l'élargissement des intervalles entre les catégories de revenus. Le conflit des écoles et des idées devient inextricable dans les pays hétérogènes où la civilisation industrielle doit vaincre les résistances de l'inertie sociale. Plus sont larges les secteurs précapitalistes, plus les débats sont confus puisque les partisans de la propriété privée ont l'air de défendre à la fois des grandes corporations et les fermes naines. Plus la diversité des problèmes réels interdit la formation de deux partis, plus les théoriciens inclinent à substituer des antithèses abstraites à la complexité des intérêts aux prises. On imagine l'existence de deux blocs d'autant plus volontiers qu'ils existent moins. La transfiguration idéologique des débats est contemporaine des étapes initiales de l'industrialisation. La contradiction des objectifs derniers est-elle en train de réapparaître au delà de l'apaisement des controverses surannées ? Société hiérarchique, transmission des privilèges d'une part, société d'éga~, mobilité sociale d'autre part, constituent les deux représentations idéales, finalement incompatibles. Mais la civilisation industrielle amène une telle différenciation des métiers, elle exige une telle accélération de la mobilité que les doctrinaires sont, à chaque instant, dépassés par les événements. A quoi bon spéculer sur l'aboutissement ultime d'une évolution imprévisible? La divergence des options métaphysiques n'empêche pas la coopération raisonnable. Les réformes d'inspiration égalitaire sont et resteront longtemps encore favorables à la continuité historique. La civilisation industrielle reconstitue une hiérarchie au fur et à mesure qu'elle efface les distinctions traditionnelles. Les radicaux sont hostiles aux prestiges hérités, non aux élites nouvelles. Les conservateurs, hostiles au nivellement, sont tenus d'exiger de la classe dirigeante qu'elle se justifie constamment par les services rendus. Personne ne garde le dernier mot dans un dialogue toujours recommencé. RAYMOND.ARON
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