. R.ARON au xx: 0 siècle comme au xix 0 , demeure le chefd' œuvre politique de l'Occident. 11est douteux pourtant que le maintien d'une telle distance entre les classes soit conf orme à l'intérêt collectif ou durable. Même si les discriminations sociales ne suscitaient pas de ressentiments - et elles en suscitent ou en susciteront inévitablement - elles ont pour l'instant un inconvénient grave : elles réduisent exagérément le nombre de ceux qui poursuivent des études secondaires ou supérieures, elles limitent le recrutement des étudiants, des futurs détenteurs -des fonctions supérieures, elles ralentissent exagérément la mobilité sociale. A l'heure ·présente, on forme moins de diplômés que n'en exige le progrès économique (sans parler du désaccord entre la répartition des étudiants et les besoins de la société, qui se manifeste comme en France). En Grande-Bretagne à l'heure présente, tous les arguments concordent. Les distinctions de classes empêchent l'application du principe des chances égales pour tous. Elles seraient dangereuses,· même si ce principe était appliqué, parce qu'elles rendraient trop douloureuse la sanction de l'échec_ pour les moins doués. Enfin elles préviennent la formation de cadres, techniques et intellectuels, dont le nombre doit augmenter avec le progrès économique. Les mesures qui tendraient à favoriser la prolongation des études s'imposeraient raisonnablement, en dehors de toute préférence idéologique. En Grande-Bretagne, l'inégalité sociale pose un problème particulier en raison du système scolaire. Les écoles privées payantes reçoivent encore les enfants de la classe supérieure et les meilleures écoles secondaires ( grammar schools) sont séparées des écoles secondaires modernes ou techniques. La France ne connaît rien de comparable aux public schools, les sections classique et moderne sont réunies dans les mêmes établissements d'État alors que les comprehensive schools sont rares outre-Manche et sont loin de recueillir un assentiment unanime. L'examen d'entrée en sixième est en France le cauchemar des parents *, l'examen qui décide de l'entrée soit dans une grammar school, soit dans un établissement moderne ou technique a encore plus de gravité et de conséquences. Le niveau social des parents n'a pas moins d'influence sur le résultat de l'examen que les dons de l'enfant. Les radicaux, aujourd'hui, demandent des mesures qui atténueraient les avantages dont * Encore que l'enseignement privé permette de pallier les conséquences de l'échec . • iblioteca Gino Bianco 9 bénéficient les enfants des privilégiés, et qui rétréciraient l'écart entre les meilleures écoles secondaires et les autres. Leur argumentation est d'autant plus forte que certaines des réformes qu'ils envisagent pour l'Angleterre sont déjà appliquées aux États-Unis ou en France, qui ne connaissent l'équivalent ni des public schools, ni de la séparation entre grammar schools et écoles modernes. Le· recrutement des élèves de l'enseignement secondaire et des étudiants de l'enseignement supérieur est trop étroit en France parce que les différences de revenus créent, entre les groupes, une distance excessive. Du moins les enfants •qui entrent dans l'enseignement secondaire ne sont-ils pas répartis entre des écoles de dignité différente. A condition de ne pas entrechoquer des théories et de ne pas chercher de solution définitive, une coopération pratique entre les doctrinaires opposés ne sera pas impossible. Les radicaux ne nient pas que toute société, même démocratique, ait besoin d'une élite. Les conservateurs, de leur côté, reconnaissent que la diminution de l'inégalité des chances au point de départ répond au sentiment actuel de la justice. Dès lors, il est inévitable que le recrutement des public schools s'élargisse et que · les différences de qualité entre les établissements secondaires s'effacent progressivement, sans jamais disparaître~ Le néo-conservateur se félicite que le Welfare State ait apaisé les revendications populaires sans bouleverser l'ordre traditionnel. Le néo-socialiste déplore que la redistribution des revenus ou la sécurité sociale n'aient pas rapproché les classes. Cette opposition n'empêche pas l'action raisonnable en vue d'objectifs presque incontestables. La complexité croissante de la technique et de l'administration permet d'imaginer, à l'âge de la civilisation industrielle, aussi bien la hiérarchie que l'égalité. A l'heure présente, la biérarchie est, en une large mesure, héritée des siècles pré-industriels. La distance sociale, entre l'élite et les masses pourrait se reconstituer au profit des savants, des managers ou des psychologues. L'élite choisirait, parmi les mieux doués, les jeunes hommes destinés à l'exercice des fonctions dirigeantes. Les masses, satisfaites par un haut niveau de vie, obéiraient sans comprendre à ces démiurges lointains. Heureusement la tyrannie des managers ne répond pas plus à l'iaéal des conservateurs qu'à celui des radicaux. Peut-être même les premiers préféreraient-ils encore l'idéal d'une société mobile et égalitaire au règne des techniciens sans âme. La réalité se situera probablement quelque part entre le cauchemar (ou le rêve) •
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